Source: Le Monde
L’Europe de la défense est mal partie
PERTES & PROFITS|AÉRONAUTIQUE
Par Philippe Escande
En matière d’Europe de la défense, il y a les grands discours, ceux du président français Emmanuel Macron ou du chancelier allemand Olaf Scholz, les grands programmes, comme celui de l’avion ou du char du futur, et les petites chausse-trapes. L’industriel français Safran, l’un des premiers équipementiers aéronautiques au monde, vient d’en être victime. Lundi 20 novembre, il a révélé que le gouvernement italien s’opposait à ce qu’il acquière la société italienne Microtecnica. Une entreprise née en 1929 et dotée de trois usines qui fabriquent des équipements pour les avions de chasse et les hélicoptères.
Pour s’opposer à l’opération, Rome a utilisé l’arme de son « pouvoir en or », dispositif approuvé par l’Union européenne, qui permet à un pays de bloquer une opération dans la défense au nom de la souveraineté nationale. Le plus étrange est que Microtecnica est… américaine. Elle est la filiale du groupe Collins, lui-même intégré dans le géant RTX (anciennement Raytheon-UTC). Autrement dit, l’Italie bloque l’achat par un Français d’une société américaine.
D’où la stupéfaction chez Safran, qui sort immédiatement son drapeau européen. D’autant plus que dans les raisons officielles du refus, outre la protection des emplois italiens, figure en première place le risque de rupture d’approvisionnement en pièce détachées de l’avion de combat Eurofighter. Un danger évoqué par l’Allemagne, premier acheteur de cet avion européen.
Le Français a beau rappeler qu’il est lui aussi fournisseur de pièces pour ce même appareil, rien n’y fait. Il s’en remettra. L’achat de Microtecnica est la conséquence de l’accord conclu en juillet avec Collins de l’acquisition par Safran de son activité de systèmes de contrôle de vol en Europe, dont l’Italien ne représente que 15 %.
Tentation hégémonique
La raison de ce pataquès européen est à rechercher dans les ambitions de plus en plus grandes de l’Italie, mais aussi de l’Allemagne, de développer leur industrie de défense, domaine d’excellence de la France en Europe. De ce fait, toute incursion tricolore pour acheter des entreprises ou pour travailler en commun est vécue comme une tentation hégémonique. On préfère alors le cousin américain, qui offre en plus la protection de l’OTAN, voire les Coréens, qui font un carton en Europe.
Alors, les Allemands préfèrent le F-35 de Lockheed Martin au Rafale de Dassault et s’écharpent avec ce dernier sur l’avion de combat du futur SCAF. Quant aux Italiens, ils ont décidé de s’allier aux Britanniques sur le programme concurrent Tempest, piloté par British Aerospace. Le réarmement de l’Europe face aux risques géopolitiques à ses frontières, au lieu de pousser à l’unité, aboutit à son contraire. Le règne du chacun pour soi.