Source: Le Monde
Airbus au défi de la montée en cadence
L’avionneur, qui enregistre des records de commandes, peine à suivre. Les délais de livraison s’allongent
Guy Dutheil
Airbus a des problèmes de riche. En une seule semaine, du 12 au 19 décembre, l’avionneur européen a enregistré pas moins de 537 commandes d’appareils commerciaux. Dans ce total, un contrat géant conclu avec Turkish Airlines. La compagnie turque s’est engagée pour 220 avions dont 150 exemplaires du moyen-courrier A321 et 70 long-courriers A350 auxquels s’ajoutent 135 appareils en option. Une commande évaluée, prix catalogue, à 53 milliards de dollars (près de 48 milliards d’euros). A cela s’est ajouté un contrat de 157 A320neo supplémentaires commandés, le 19 décembre, par la compagnie à bas coûts britannique Easyjet, pour 15 milliards de dollars.
Avec cette avalanche de contrats, Airbus va battre son précédent record qui datait de 2013 quand il avait enregistré 1 503 commandes. Mercredi 27 décembre, il comptait 1 938 avions supplémentaires. Avec pas loin de 9 000 avions en magasin, l’avionneur s’est assuré près de douze années de production garantie. Un rêve d’industriel.
Il faut dire qu’à Toulouse, comme à Seattle (Washington), chez le rival Boeing, on ne touche plus terre depuis la sortie de la crise liée au Covid-19. A en croire les prévisions du groupe américain, le nombre d’avions commerciaux en service va doubler d’ici à 2044, passant de 24 500 appareils aujourd’hui à 48 575. Un chiffre en contradiction avec la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique, mais qui illustre l’essor attendu du trafic aérien.
Cette estimation est validée par l’Association du transport aérien international qui a sonné l’alarme auprès des compagnies aériennes, signalant qu’elles devront recruter entre 500 000 et 600 000 pilotes pour s’installer aux commandes de tous les aéronefs sillonnant les cieux du monde entier d’ici vingt ans.
Si cet afflux de commandes est une bonne nouvelle pour le commerce extérieur de la France et la pérennité de l’emploi des salariés d’Airbus, il commence par peser de plus en plus sur la logistique de l’entreprise. Notamment sur les délais de livraisons qui ne cessent de s’allonger.
Avant la crise liée au Covid-19, les compagnies devaient patienter cinq années minimum avant d’être livrées. Il faut aujourd’hui compter un délai supplémentaire de deux ans. Il n’est d’ailleurs pas impossible que la multiplication des contrats géants, ces derniers mois, soit l’une des réponses trouvées par les compagnies pour essayer de raccourcir les délais de livraison. En effet, Boeing et Airbus seraient plus enclins à trouver des créneaux de livraisons rapprochés pour des clients importants que pour ceux ne commandant que quelques unités.
« Rester réalistes »
C’est sur le segment des moyen-courriers que se concentre l’afflux de commandes. Numéro un mondial de l’aéronautique depuis six ans, Airbus capte plus de 70 % de parts de marché des appareils monocouloirs. Il fait la course en tête avec ses deux blockbusters, l’A320neo et l’A321 dans toutes ses versions. Or Airbus comme Boeing n’ont pas encore réussi à accélérer suffisamment leur cadence de production. Depuis le début de l’année, « seulement » cinquante moyen-courriers sortent chaque mois des chaînes d’assemblage. Conséquence, le groupe européen peine à remplir ses objectifs : il n’est pas certain qu’il parvienne à livrer les 720 avions prévus en 2023. Il avait déjà manqué son but l’année dernière avec 661 livraisons contre 720 attendues.
La crise liée au Covid-19 a, en effet, fragilisé la chaîne de sous-traitants. Certains des maillons, parmi les plus petits et les plus fragiles, peinent à suivre le rythme. Ces derniers avaient souvent été contraints de licencier pendant la pandémie et ils ont du mal aujourd’hui à recruter. Pour ne pas perdre en route l’un de ses fournisseurs, Airbus a déjà repoussé d’un an la hausse de sa production. Désormais, il prévoit de produire soixante-quinze A320 par mois en 2026 et non plus en 2025. Même des partenaires de premier rang comme le motoriste Safran appellent Airbus et Boeing à « rester réalistes » dans leurs prévisions.
A l’occasion de la conclusion d’un accord-cadre de développement des activités aéronautiques avec le Maroc, début décembre, Olivier Andriès, directeur général du motoriste, a annoncé une hausse de sa production de 20 % en 2024 par rapport à 2023. Safran voudrait sortir 20 % de moteurs supplémentaires, soit 2 000 de plus. « Cela nous permettra de répondre aux besoins d’Airbus et de Boeing », a indiqué le directeur général. Une montée en puissance prudente pour un patron qui s’interroge : « A quel rythme la chaîne de sous-traitants va-t-elle être capable de suivre ? »
Problèmes sur le fuselage
Boeing, qui reste loin derrière le leader mondial avec moins de 6 000 appareils en commande, a moins de soucis de logistique que de problèmes de qualité. Début décembre, l’Agence fédérale de l’aviation civile américaine a ordonné l’inspection de 6 600 Boeing 737.
Jeudi 28 décembre, le constructeur aéronautique a demandé aux compagnies aériennes propriétaires de 737 Max, son avion-vedette, de faire des vérifications à cause d’un risque de « boulon desserré » sur le système de contrôle du gouvernail. Le 737 Max avait été cloué au sol pendant des mois dans le monde entier après deux catastrophes aériennes en octobre 2018 et mars 2019, qui ont fait 346 morts. Plus récemment, l’avionneur a dû ralentir ses livraisons à cause de problèmes sur le fuselage.
Malgré ce nouveau déboire, l’Américain reprend des couleurs. En 2023, il devrait s’approcher des 1 000 commandes nettes (son record était de 1 432 commandes en 2014). Soit bien mieux que les 774 de 2022. Surtout, Boeing a repris ses livraisons en Chine avec la fourniture d’un long-courrier 787-9 Dreamliner. Le premier avion depuis quatre ans. Une annonce importante, tant ce marché étant crucial : selon les prévisions de Boeing, la Chine devrait d’ici vingt ans générer, à elle seule, environ 20 % de la demande mondiale.
LES CHIFFRES
9 000
C’est le nombre d’avions qu’Airbus a dans son carnet de commandes, ce qui lui assure près de douze années de production. Boeing reste derrière, avec moins de 6 000 appareils en commande.
75
C’est le nombre d’A320 qu’Airbus espère produire chaque mois en 2026.
48 575
C’est le nombre d’avions commerciaux qui devraient être en service en 2044, contre 24 500 aujourd’hui, selon les prévisions de Boeing.
6,8 %
C’est la part du secteur aérien dans les émissions de CO2 de la France en 2019, selon la direction générale de l’aviation civile.
2 %
C’est la part minimale de « carburant durable d’aviation », c’est-à-dire d’origine non fossile, qui devra être utilisée dans les réservoirs des avions en 2025, selon la nouvelle norme européenne. Un seuil qui sera relevé progressivement pour atteindre 70 % en 2050.