Un aéroport important à l’est de la Pologne

Source: Le Monde

En Pologne, Rzeszow, carrefour militaire, logistique et humanitaire pour l’Ukraine

La guerre donne un rôle central à cette ville située aux marges de l’Union européenne

Hélène Bienvenu

RZESZOW (POLOGNE)- envoyée spéciale

Un vrombissement déchire le ciel maussade. Puis, le mastodonte apparaît au beau milieu de cette banlieue aux confins de la Pologne orientale. C’est déjà le deuxième avion militaire américain en une heure à venir troubler la quiétude de Jasionka, bourgade située à une dizaine de kilomètres de Rzeszow, capitale régionale de 200 000 âmes. Ces colosses qui frôlent les pavillons n’étonnent plus personne, tant ils sont nombreux depuis deux ans.

Même accoutumance aux batteries de Patriot, ce système de missiles sol-air qui parsèment les abords d’une piste d’atterrissage devenue stratégique. Des palissades, doublées de pancartes interdisant de photographier, ont bien du mal à dissimuler ces caissons kaki pointés vers le ciel et ces tentes beiges de l’armée américaine.

A 70 kilomètres de la frontière ukrainienne, c’est par cet aéroport que transite 80 % de l’aide militaire destinée à l’Ukraine en guerre. Son tarmac est régulièrement foulé par les dirigeants du monde entier, en route pour Kiev. Environ 5 000 militaires de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) sont stationnés dans les environs, dont une majorité de ressortissants américains. Il n’est pas rare de les croiser en treillis à l’intérieur de l’aéroport, s’achetant un hot-dog ou attablés à la pizzeria Gusto, à quelques kilomètres de là. Le restaurant n’hésite pas à afficher en anglais son best-seller : la « spicy Joe », une pizza au pepperoni et jalapeño, celle qu’avait commandée Joe Biden, en visite en mars 2022.

Modeste mais reluisant, l’aéroport civil continue d’afficher imperturbablement ses quelques vols low cost quotidiens à destination du Royaume-Uni ou de l’Allemagne. Lui aussi connaît une croissance inespérée de son trafic, atteignant le million de passagers durant l’année 2023. Soit une augmentation de plus de 25 % de sa fréquentation record enregistrée en 2019. Un résultat qui doit beaucoup à l’affluence de la clientèle voisine : en basse saison, des avions charters, remplis de touristes ukrainiens, sont même affrétés pour l’Egypte.

Métamorphose

A 3 kilomètres de là, l’étendard américain flotte à tout vent à l’hôtel Manoir Ostoya, trahissant la provenance de ses occupants, petites mains au service de l’armée américaine, déployée à Jasionka. Outre les mariages et les premières communions qui se tiennent toujours sur les lieux, les salles de conférences de l’établissement sont aussi à la disposition des diplomates et attachés de la défense.

Hôteliers, restaurateurs, tenanciers de bars… tous ont vu leur chiffre d’affaires bondir depuis que Rzeszow et ses alentours jouent le rôle de carrefour logistique, militaire et humanitaire de l’Ukraine en guerre. « L’afflux de militaires américains mais aussi de réfugiés ukrainiens a accéléré le développement de Rzeszow et de ses environs, déjà amorcé avant la guerre en Ukraine », affirme Tomasz, qui possède un salon de tatouage dans la vieille ville de RzeszowLui a vu la guerre s’inviter dans son commerce, alors que des militaires américains y débarquent régulièrement pour se faire tatouer « des symboles religieux chrétiens ». L’un de ses artistes tatoueurs, un Ukrainien qui avait rejoint le front au tout début du conflit en 2022, fait prisonnier de guerre il y a plusieurs mois, est entre les mains des Russes.

En face de l’aéroport de Jasionka, des entrepôts vacants ont été aménagés en centre médical d’urgence pour permettre l’évacuation par les airs d’Ukrainiens vers divers hôpitaux européens. Le Medevac Hub, qui repose sur le mécanisme de protection civile de l’Union européenne, a déjà permis, depuis son ouverture en septembre 2022, à plus de mille patients, accompagnés de leurs proches, de poursuivre des traitements difficilement accessibles dans leur pays d’origine. « Civils comme militaires, ces patients sont aussi bien atteints de cancer que de traumatismes multiples, ou de brûlures graves. Notre tâche est de s’assurer de la stabilité de leur état de santé pour leur permettre 24 heures plus tard de monter à bord d’un avion médicalisé », précise Adam Szyszka, gestionnaire du hub, auprès de la Fondation PCPM, une ONG polonaise.

Les patients sont transportés en bus et en ambulances médicalisés depuis les hôpitaux de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, d’où ils mettent deux heures et trente minutes pour rejoindre le hub.

A quelques kilomètres de là, le maire de Rzeszow, Konrad Fijolek, en est certain. La métamorphose de sa municipalité, catapultée « ville internationale » est « irréversible ». Dans son bureau, l’édile s’explique : « Avant, nous étions une ville à la frontière de l’Union européenne, un peu loin de Varsovie, et encore plus de Bruxelles. Tout d’un coup, on est devenu le centre d’intérêt de l’Europe entière. » Au point que le rynek (« marché »), bordé de cafés et de restaurants, est une véritable tour de Babel.

La métamorphose de Rzeszow n’est pas passée inaperçue non plus en Russie. Au point que ses services de renseignement ont recruté en 2023 des observateurs, chargés d’espionner l’aéroport de Jasionka et les livraisons d’armes vers l’Ukraine. La plupart des membres de ce réseau, démantelé par les autorités polonaises, se trouvent désormais en prison. « Notre approvisionnement énergétique ou notre chemin de fer sont victimes plus souvent qu’avant de cyberattaques, certaines proviennent de Russie », souligne également Konrad Fijolek. En ville en tout cas, personne n’en doute : l’avenir de Rzeszow et de ses environs graviteront autour de la reconstruction de l’Ukraine, aussitôt la guerre achevée.