Source: Le Monde
Les exportations tirées par le Rafale
PERTES & PROFITS | COMMERCE DES ARMES
Par Jean-Michel Bezat
Sans le Rafale et son arsenal embarqué, que serait l’industrie française sur le marché des ventes d’armes ? Elle pèserait d’un poids très moyen et serait même « marginalisée », n’hésite pas à souligner Marc Chassillan, ingénieur de l’armement et consultant défense, alors qu’elle occupe désormais la deuxième place mondiale par la valeur de ses exportations, selon le dernier rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, publié en mars. Loin, il est vrai, des Etats-Unis, mais désormais devant la Russie, mobilisée pour fournir ses armées engagées dans la guerre en Ukraine.
L’avion multirôle (défense aérienne, reconnaissance, dissuasion nucléaire, frappes air-sol, lutte antinavire…) ne participe pas directement à l’« économie de guerre », puisqu’il n’est pas engagé en Ukraine, encore moins livré à Kiev. Mais il a effectué des exercices conjoints avec des F-16 roumains et des missions de police du ciel au-dessus des Etats baltes. Comme tout industriel aiguillonné par l’envolée des budgets militaires, Dassault Aviation monte en cadence.
Le groupe a annoncé, en mars, qu’il pourrait produire trois Rafale par mois à la fin de 2024 (au lieu de deux) dans son usine de Mérignac (Gironde), et monter à quatre en 2025. Son PDG, Eric Trappier, estimait il y a quelque mois qu’« on [avait] un moment Rafale (…) qui [allait] durer un certain temps », convaincu que « la géopolitique [était] en faveur de la France » quand de nombreux pays ne veulent acheter ni américain ni russe.
Dernier « prospect » en date : la Serbie. L’Etat balkanique souhaite acquérir une douzaine de Rafale, mais sa proximité historique avec la Russie, à laquelle elle achète beaucoup d’armes, et le dossier pendant du Kosovo retardent la signature d’un contrat estimé à 3 milliards d’euros. En 2022, année record pour Dassault, toutes les commandes (92 appareils) ont été passées par des pays étrangers, les Emirats arabes unis en ayant acheté 80 à eux seuls.
Manne partagée
Le Rafale a ainsi représenté 21 milliards d’euros, soit 78 % des 27 milliards totalisés par les commandes à l’exportation des entreprises françaises de défense cette année-là. Une manne partagée entre divers acteurs. Ses ventes ont gonflé les carnets de commandes de Safran (moteurs, optronique, bombes air-sol…), de Thales (radars, capteurs infrarouges, viseurs de casque…) et du missilier MBDA. Elle a également fourni du travail à plus de 400 PME et ETI (Ametra, Realmeca, Decomatic…). Au total, l’avion de combat assure au moins 7 000 emplois directs et indirects en France.
Il a fallu près de quinze ans à Dassault pour exporter son premier Rafale (2015), après avoir été utilisé par l’armée de l’air et la marine françaises sur différents théâtres d’opérations : en Afghanistan dès 2007, en Libye au moment de la chute de Kadhafi en 2011, au Mali contre les djihadistes en 2013, puis en Syrie et en Irak contre l’organisation Etat islamique en 2015. L’avion a illustré l’importance de la « preuve au combat », un atout maître qui a joué dans les succès à l’exportation du complexe militaro-industriel américain.
Le gouvernement ne serait pas mécontent de rééditer cette réussite avec d’autres matériels aujourd’hui très sollicités. Notamment le canon Caesar, puissant, fiable et mobile. Il a été commandé par plusieurs pays, même si l’essentiel de sa production actuelle est destiné à la France et à l’Ukraine. Chez MBDA, on rêve de voir le missile Aster, utilisé sur le front ukrainien et en mer Rouge, connaître un succès encore plus grand à l’étranger, convaincu qu’il n’a « rien à envier au Patriot américain ». Ces équipements permettraient de diversifier les exportations françaises d’armement.