Source: Le Monde
Carburant « durable » : les compagnies aériennes veulent assouplir leurs obligations
Bruxelles impose une incorporation graduelle de ces carburants dans les réservoirs des avions
Guy Dutheil
C’est en passe de s’imposer comme le tube de l’été du transport aérien. Une ritournelle entêtante dont le refrain dénonce la rareté et le coût trop élevé des carburants d’aviation dits « durables », les CAD, élaborés à partir de biomasse ou encore d’huiles usagées…
Cette petite musique a commencé de se faire entendre lors de l’assemblée générale de l’Association du transport aérien international (IATA), réunie début juin à New Delhi. A cette occasion, Willie Walsh, son directeur général, a voulu tirer le signal d’alarme : « Au lieu de promouvoir l’utilisation des CAD, les obligations européennes les ont rendus cinq fois plus chers que le kérosène conventionnel. »
Le plan européen Refuel EU, qui a commencé à entrer en vigueur début 2025, oblige les compagnies aériennes européennes à incorporer des CAD de manière graduelle dans les réservoirs de leurs avions jusqu’en 2050 : 2 % dès 2025, puis 6 % en 2030, 20 % en 2035 et 70 % en 2050. Encore faut-il que la production de CAD suive, soulignent les entreprises. Or, si celle-ci devrait encore doubler en 2025 pour atteindre les 2 millions de tonnes, cela ne représentera que 0,7 % de la consommation mondiale annuelle de carburant du transport aérien.
Pire, fait valoir une étude du lobby des compagnies européennes Airlines for Europe, la production actuelle de CAD est inférieure de 30 % aux niveaux nécessaires pour atteindre l’objectif en 2030. « J’ai du mal à voir comment nous aurons suffisamment de carburant d’aviation durable pour répondre à l’objectif à court terme », a de nouveau expliqué M. Walsh dans un entretien à un quotidien de Singapour, le 16 juillet.
Pour sortir de cette impasse, M. Walsh estime que « l’Union européenne, en particulier, doit réévaluer les objectifs qu’elle a définis ». Les compagnies aériennes veulent un assouplissement de leurs obligations en matière de décarbonation. Une exigence qui fait écho à celui obtenu par les constructeurs automobiles pour le calcul de leurs efforts pour décarboner leurs productions. Après un intense lobbying, les amendes éventuelles ne seront plus basées sur les ventes annuelles de voitures, mais lissées sur trois ans.
Une « opportunité politique »
Une brèche dans laquelle veut s’engouffrer le transport aérien. Les revendications des acteurs du secteur font bondir les défenseurs de l’environnement. Elles « ne sont pas fondées sur un constat scientifique mais sur une opportunité politique », se désole Jérôme du Boucher, responsable aviation France pour l’ONG Transport & Environnement (T & E). Ce dernier souligne leur mauvaise volonté. « Il y a des producteurs européens de CAD qui ont renoncé à développer des projets parce qu’ils ne trouvaient pas assez d’acheteurs », argue le responsable de T & E.
De fait, les firmes hésitent à acquérir des carburants verts. Bien trop chers à leurs yeux. « Les CAD coûtent toujours trois à quatre fois plus chers que le kérosène conventionnel », signale Benjamin Smith, directeur général d’Air France-KLM. Pour Luis Gallego, PDG du groupe IAG et nouveau président du conseil d’administration de l’Association du transport aérien international, « la seule solution est de décaler l’objectif 2030 ».
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, l’IATA estime à 4 700 milliards de dollars (4 012 milliards d’euros environ) les investissements nécessaires pour développer des filières de production et de distribution de CAD au cours des vingt-cinq prochaines années. A titre de comparaison, en 2025, toujours selon IATA, les compagnies aériennes devraient dégager collectivement un bénéfice net de 36 milliards de dollars. Et le poste carburant, évalué à 25 % des coûts fixes d’une compagnie, pourrait culminer à 36 %. Ce sont bien sûr les passagers qui, in fine, seraient mis à contribution, avec une hausse des prix des billets d’avion.