540 000 pilotes à trouver d’ici vingt ans

Extrait du journal Le Monde du 17/07-2018

Il manque des pilotes dans l’avion

de Guy Dutheil

La flotte mondiale devrait doubler d’ici à 2037 et avoisiner les 48 000 appareils. Le risque : une pénurie de navigants
Une pluie de commandes va-t-elle s’abattre sur le salon de l’aéronautique de Farnborough, qui se tient du 16 au 22 juillet dans la banlieue de Londres ? Les attentes des deux grands constructeurs mondiaux, Airbus et Boeing, ne laissent a priori aucun doute. A l’occasion de la publication annuelle, début juillet, de ses prévisions pour les vingt prochaines années, Airbus a fait montre d’un optimisme sans faille. L’avionneur de Toulouse prévoit que, d’ici à 2037, les compagnies aériennes du monde entier auront besoin de 37 400 avions neufs.

Les chiffres de Boeing, qui seront communiqués dans les prochains jours, ne devraient pas doucher ces espoirs. Il y a tout juste un an, le constructeur américain fixait déjà les besoins en avions neufs des compagnies aériennes à 34 900 appareils. Au total, la flotte mondiale devrait doubler en vingt ans et avoisiner les 48 000 avions, selon Airbus. Il y a deux ans, le constructeur tablait seulement sur 42 500 appareils dans le monde d’ici à 2036.

Pour Airbus et Boeing, l’insatiable appétit des compagnies aériennes laisse espérer un véritable pactole : pas moins de 5 800 milliards de dollars (près de 5 000 milliards d’euros). Cette future manne est un minimum. Airbus avoue volontiers qu’il se montre « plus conservateur que le marché » dans ses prévisions. En clair, les commandes des compagnies aériennes pourraient être encore supérieures à ses anticipations.

Avec la montée en puissance des compagnies à bas coûts, ce sont surtout les appareils moyen-courriers d’Airbus et de Boeing qui devraient constituer l’essentiel des ventes. Les achats d’avions de la famille A320 représentent 80 % du carnet de commandes d’Airbus. Au total, les monocouloirs, la famille des A320 d’Airbus ou les 737 de Boeing, devraient représenter jusqu’à 28 550 commandes d’ici à 2037. Si l’avionneur européen, évoquant les A320, prévient déjà qu’il « devrait y avoir des commandes à l’occasion du salon de Farnborough », il espère que, cette année, les long-courriers seront aussi à l’honneur. Airbus « espère des commandes pour ses A350 » pendant le salon de la grande banlieue de Londres.

540 000 à trouver

Pour la première fois de leur histoire, les deux grands constructeurs pourront offrir à leurs clients toute la gamme des appareils commerciaux. Avec la reprise du pôle aviation commerciale du canadien Bombardier, l’offre d’Airbus va des appareils à hélices de quelques dizaines de places au gros-porteur A380, qui peut transporter jusqu’à 800 passagers. Pour ne pas se laisser distancer par son concurrent européen, Boeing s’est empressé de racheter le brésilien Embraer. Les CSeries de Bombardier ont été rebaptisés A220 par Airbus. L’américain pourrait faire de même avec les jets de son nouveau partenaire minoritaire brésilien.

Toutefois, si les carnets de commandes des avionneurs sont bien remplis, les compagnies aériennes se trouvent face à un casse-tête. Comment trouver les pilotes pour s’installer aux commandes des 48 000 appareils de la flotte mondiale en 2037 ? Selon Airbus, à cette date, il faudra trouver 540 000 nouveaux pilotes. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) voit encore plus grand. Elle estime que, d’ici à 2036, il faudra environ 620 000 navigants pour transporter les 7,8 milliards de passagers annuels attendus. Une situation qui n’a pas du tout été anticipée. Au contraire : mises à mal par la crise de 2008, les compagnies ont, pour la plupart, à l’instar d’Air France, arrêté de recruter et de former de nouveaux pilotes.

« Chez Air France, il manque 300 pilotes pour avoir une activité normale », soupire Philippe Evain, président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). Maintenant que les indicateurs sont à nouveaux au vert, les compagnies reprennent leur expansion, et embauchent à nouveau. Air France veut recruter 250 pilotes supplémentaires par an pendant cinq ans. Signe que la compagnie reste attractive, 4 300 candidats se sont fait connaître, en dépit d’un long conflit social et de la démission d’un PDG.

Mais la concurrence va devenir très forte. « Le défi est d’attirer un maximum de candidats », explique M. Evain. Selon son expérience, « une statistique immuable montre que, sur 3 000 postulants, seuls 5 % sont retenus ». Pour l’heure, les compagnies piochent d’abord parmi les pilotes laissés sans emploi durant les années de crise. Un réservoir qui s’épuise. Les compagnies américaines tentent de faire revenir leurs navigants un temps tentés par les rémunérations mirifiques des compagnies chinoises ou du Golfe. Dans l’empire du Milieu ou à Dubaï, un commandant de bord de moyen-courrier peut gagner jusqu’à 300 000 dollars par an, avec des charges sociales réduites et net d’impôts.

Pour séduire ces exilés, les compagnies ont dû mettre la main à la poche. Et cela fonctionne. « Les navigants américains sont partis du Golfe pour revenir aux Etats-Unis », constate un pilote d’Air France. Mais ce retour coûte cher. Sur cinq ans, Delta Airlines a prévu d’augmenter les salaires de ses pilotes de 25 % à 30 %. Reste que ce reflux pose un réel problème aux compagnies chinoises et à celles du Golfe. Celles-ci « ont été très gourmandes en commandants de bord américains ou européens, car les compagnies d’assurances les préfèrent », pointe un pilote. Dans le Golfe, faute de navigants, certains avions doivent rester au sol. Pour faire face à cette pénurie annoncée, certains pays pourraient prendre des mesures drastiques. Selon un ancien dirigeant du SNPL, « le lobbying a déjà commencé aux Etats-Unis pour décaler l’âge de départ à la retraite des pilotes de 65 à 67 ans ».

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