Source : Le Monde du 15-03-2019
Guy Dutheil et Philippe Jacqué
C’est la
question à 10 milliards d’euros. Si l’Etat cède ses 50,6 % dans Aéroports de
Paris (ADP), transformée en concession de soixante-dix ans, fera-t-il une bonne
affaire en récupérant de 8 à 10 milliards d’euros, la valorisation de cette
participation en Bourse ces derniers mois ? Pour le gouvernement, c’est tout
vu. « Si l’actif est aujourd’hui relativement rentable, confirme Martin Vial,
le commissaire aux participations de l’Etat, son taux de rendement en termes de
dividendes a toujours été faible du fait de l’augmentation du prix de l’action.
Sur dix ans, son rendement moyen a toujours été plus faible que le reste du
portefeuille. »
Autrement dit, le dividende que rapporte ADP à
l’Etat (130 millions d’euros en 2017, plus de 173 millions en 2018), reste trop
faible par rapport à l’importance de l’actif dans le portefeuille de l’Etat. Il
vaudrait donc mieux le céder et toucher aujourd’hui 8 à 10 milliards d’euros.
Cette somme réduira le déficit 2019 et permettra également de limiter la dérive
de la dette. De quoi la contenir sous la barre des 100 % de PIB, l’un des
objectifs de Bercy.
« D’un point de vue financier, la cession de ses
actions n’a d’intérêt pour l’Etat que si le produit de cette cession est
supérieur à la somme actualisée des dividendes qu’il pourrait toucher » pendant
soixante-dix ans, indique pour sa part François Ecalle, de l’association
Fipeco. Aujourd’hui, la capitalisation boursière d’Aéroports de Paris (16,5 milliards
d’euros pour l’ensemble) intègre en grande partie le rendement attendu par les
actionnaires d’ADP, qu’il s’agisse des dividendes ou des bénéfices à venir. Le
futur acquéreur devra donc proposer mieux que la valorisation actuelle de la
Bourse s’il acquiert la totalité des parts de l’Etat.
Garde-fous
« A court terme, c’est une bonne affaire pour
l’Etat de céder sa participation car il obtient de l’argent immédiatement »,
indique Estelle Malavolti, professeure à l’ENAC à Toulouse, chercheuse associée
à la Toulouse School of Economics. En revanche, il s’agirait selon elle d’une «
stratégie court-termiste » pour une société actuellement bien gérée.
« A moyen terme, assure-t-elle, les perspectives
de croissance des investissements déjà financés par l’Etat, comme l’extension
de Roissy ou les travaux d’agrandissement et de modernisation à Orly, devraient
encore accroître la rentabilité d’ADP. Si l’Etat vend, ces investissements
bénéficieront au prochain propriétaire. »
Au-delà du prix, tout le monde garde en tête le
fiasco de la concession des autoroutes. Les 15 milliards d’euros touchés par l’État
en 2006 lors de leur cession sont apparus trop faibles au fil des ans par
rapport au rendement obtenu ensuite par les sociétés privées d’autoroutes avec
la hausse des péages.
Pour éviter ces dérapages, le gouvernement
prévoit cette fois-ci des garde-fous. Bercy assure ainsi que « tous les 5 ans,
l’État et la société qui gérera ADP fixeront ensemble l’évolution des tarifs en
fonction des investissements et de la rémunération du capital ».
D’autres outils existent pour éviter que le
privé lèse l’État. Éric Woerth, le président (LR) de la commission des finances,
défend la mise en place dans le cahier des charges d’une « clause de complément
de prix » en cas de « gains liés à une surperformance d’ADP » ces prochaines
années. Il est également possible d’inscrire des clauses de partage des
bénéfices, au-delà d’un certain niveau de profit. « Tout peut se faire,
confirme Stéphane Saussier, économiste spécialisé sur les partenariats
public-privé, mais si un partage des bénéfices est prévu, cela fera baisser
pour l’État le prix de la cession de l’aéroport. Rien n’est gratuit ! » Enfin,
« tout le monde pense qu’ADP connaîtra un avenir radieux et que ses revenus ne
feront qu’augmenter, ajoute M. Saussier. Mais soixante-dix ans, c’est long. La
fiscalisation du kérosène des avions peut intervenir, tout comme l’irruption rapide
de modes alternatifs de transport, et ainsi toucher le secteur. Il existe donc
une part de risque. »