La « honte de voler » en Suède

Lire sur le Monde du 3-0492019

La « honte de voler » gagne du terrain parmi les Suédois soucieux du climat
Anne-Françoise Hivert

Le rejet de l’avion, très émetteur de CO2, s’accroît dans le royaume
MALMÖ (SUÈDE) – correspondante
Lundi 1er avril, 250 acteurs, réalisateurs et producteurs suédois ont signé une tribune dans le quotidien Dagens Nyheter, où ils exigent que l’industrie cinématographique de leur pays change ses méthodes de production. Visés : les tournages à l’étranger et les déplacements constants en avion. « Si l’industrie continue de négliger ce que le reste du monde voit comme une question critique pour l’avenir, ce n’est pas seulement le climat qui est menacé, mais également le cinéma suédois », affirment les signataires.

Certains d’entre eux se sont déjà engagés à réduire au maximum leurs vols. Ils ne sont pas les seuls. Début février, les programmateurs de la salle de concerts d’Helsingborg, dans le sud du royaume, ont annoncé qu’ils ne feraient plus jouer que des artistes capables de venir sans passer par les airs. Ces derniers mois, des sportifs, des politiciens, des personnalités du monde de la culture, mais aussi de nombreux anonymes ont fait le serment de ne plus prendre l’avion.

« Casseuse d’ambiance »

Provoqué par une prise de conscience personnelle ou un sentiment de culpabilité induit par des proches ou les réseaux sociaux, un mouvement émerge en Suède, qui se résume en un mot : flygskam ou la « honte de voler ». Au pays de Greta Thunberg, la collégienne qui a lancé un mouvement mondial des jeunes pour le climat, c’est simple, plus possible de faire un repas entre amis sans que la discussion ne glisse sur le climat et finisse sur l’avion.

Car si les Suédois font du vélo, recyclent et se chauffent au bois, ils ont bien du mal à renoncer aux vacances au soleil. Ils voyagent en avion cinq fois plus que la moyenne mondiale. Depuis 1990, leurs voyages à l’étranger ont plus que doublé et les émissions produites par leurs déplacements en avion – près de 10 millions de tonnes équivalent CO2 chaque année – correspondent désormais à celles du parc automobile du pays.

Quand Maja Rosén, 37 ans, a décidé de ne plus voler, il y a onze ans, elle a commencé par ne rien dire, de peur de « passer pour une casseuse d’ambiance ». Puis, cette ancienne étudiante en médecine a changé de stratégie. En janvier 2018, elle a lancé, avec sa voisine, une campagne sur Facebook, intitulée « Nous restons sur Terre ». Objectif : faire en sorte que 100 000 personnes s’engagent à ne plus voler pendant un an.

« La plupart ne sont pas prêts à renoncer définitivement à l’avion, mais beaucoup disent qu’après un an d’abstinence, ils n’envisagent plus de recommencer », raconte Mme Rosén. Finalement, 14 500 internautes ont prêté serment. C’est loin du but, mais suffisant pour que la jeune femme renonce à ses études et s’investisse à plein temps. « Les gens sont en train de se réveiller », assure-t-elle.

En début d’année, le compte des « Influenceurs ingénus » sur Instagram a fait polémique. Suivi par plus de 60 000 personnes, il détournait les photos de vacances postées par des célébrités sur les réseaux sociaux, en comptabilisant les émissions de CO2 générés par leurs voyages souvent subventionnés.

Trains de nuit

Cette culpabilisation aurait déjà des effets, selon une chronique publiée début mars dans le Dagens Nyheter. Non seulement les Suédois ne postent plus autant de clichés de leurs vacances lointaines sur les réseaux sociaux, mais le sujet serait presque devenu tabou, au point que l’on évite par exemple de discuter en public de son séjour « en Thaïlande ».

La tendance ne fait pas que des heureux. Sara Skyttedal, tête de liste des chrétiens-démocrates aux élections européennes, a fait savoir qu’elle allait augmenter ses vols pour compenser l’action des « imbéciles idiots qui détériorent les conditions d’investissement des entreprises dans les technologies vertes ». Le même argument est d’ailleurs repris par plusieurs sites d’information consacrés à l’industrie du voyage et de l’aviation.

Reste que, si les vols domestiques des Suédois ont baissé de 3 % en 2018 au profit du train, leurs vols internationaux ont augmenté de 2 %. Le 31 mars, le gouvernement composé des Verts et des sociaux-démocrates a annoncé qu’il allait débloquer 50 millions de couronnes (près de 5 millions d’euros) pour financer des trains de nuit vers plusieurs grandes villes européennes et offrir une alternative à l’avion.

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