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Un article du journal Le Monde sur l’apprentissage en France
La France mise sur l’apprentissage comme arme antichômage
Élise Barthet
La loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », adoptée en septembre 2018, vise à développer ce type de formation
C’est l’un des dispositifs sur lesquels le gouvernement mise le plus pour réduire le chômage des jeunes. Longtemps considéré comme une voie de garage, l’apprentissage concerne un peu plus de 430 000 personnes en France aujourd’hui. Un niveau près de trois fois inférieur à celui de l’Allemagne, alors que le taux d’insertion dans l’emploi de ceux qui sortent de ces formations avoisine les 70 %.
Les effectifs vont-ils décoller, avec la montée en puissance de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui a été adoptée le 5 septembre 2018 ? Rue de Grenelle, on y croit dur comme fer. D’autant qu’il y a urgence à mieux faire coïncider les formations avec les besoins des entreprises.
Entre 2017 et 2018, alors que la réforme était encore en discussion, le nombre d’apprentis a crû de 7,7 %. Un rebond dû, en partie, à l’allongement de l’âge maximum, passé de 25 à 30 ans, dans sept, puis neuf régions, avant d’être étendu à tout le territoire. « Il y a également eu la campagne “Démarre ta story” sur les réseaux sociaux, et certains conseils régionaux comme les Hauts-de-France, le Grand Est, les Pays-de-la-Loire et la Nouvelle Aquitaine, se sont mis à jouer le jeu », précise-t-on dans l’entourage de la ministre du travail, Muriel Pénicaud.
Mais ce que ces chiffres ne disent pas, c’est que l’apprentissage connaît surtout un succès dans le supérieur, chez les bac +2, et beaucoup moins dans le secondaire, en CAP. Certes, les contrats de ces derniers restent plus nombreux (60 %), et « certaines entreprises s’efforcent d’intégrer des apprentis aux premiers niveaux de qualification, observe Bertrand Martinot, économiste et ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy. Mais, globalement, les grands groupes ne font pas le job ».
Etudiant en master 2 à la Montpellier Business School, Benjamin Gachet, 24 ans, fait partie de ces « alternants » du supérieur. « L’école de commerce nous pousse vers l’apprentissage, car cela permet d’être exonéré d’une année de frais de scolarité, et ça la rend plus accessible », explique-t-il. Au service des ressources humaines des assurances du Crédit mutuel, à Strasbourg, il touche environ 1 440 euros par mois et peut désormais profiter de l’aide au financement du permis de conduire destinée aux apprentis depuis le 1er janvier.
Mais la réforme vise davantage les élèves du secondaire. Alors que 150 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans aucun diplôme, « ce serait une victoire culturelle très forte, celle d’une vraie pédagogie alternative, explique un proche de Muriel Pénicaud. On a appuyé sur le bouton “reset”. Le système a été refondu en s’inspirant de la Suisse, de l’Allemagne et du Danemark, mais sans faire de copier-coller. »
Deux grands axes ont été privilégiés, juridique et financier. Côté régulation, les législateurs ont supprimé le passage obligatoire devant les prud’hommes en cas de rupture de contrat. Le temps de travail des apprentis mineurs a été porté de trente-cinq à quarante heures par semaine pour certaines activités, et les embauches sont désormais possibles tout au long de l’année scolaire.
Toutefois, le vrai big bang concerne les centres de formation (CFA). A partir de 2021, ils seront entièrement financés au contrat, c’est-à-dire, selon le nombre d’apprentis qu’ils accueillent. Ils n’auront plus besoin d’une autorisation des régions pour ouvrir. Il reviendra aux branches professionnelles de définir le coût de prise en charge des contrats.
« Course à la rentabilité »
France Compétences, l’agence nationale responsable de la collecte de la taxe d’apprentissage, a publié, jeudi 28 mars, une liste d’un peu plus de 3 000 « valeurs », représentant les niveaux de prise en charge des différentes formations : un CFA toucherait ainsi 6 175 euros pour un apprenti en joaillerie et 15 000 euros pour un conducteur d’appareils de l’industrie chimique.
Aurélie Martin, enseignante depuis cinq ans dans un CFA, craint que cette réforme entraîne une « course à la rentabilité ». « Les classes risquent d’être surchargées, alors que nos élèves sont souvent déjà en difficultés, avec de gros problèmes de concentration. D’ailleurs, ajoute-t-elle, il faudrait mettre en avant les métiers plutôt que le parcours. L’apprentissage n’est pas un objectif en soi, c’est le chemin. »
Les entreprises, elles, sont manifestement séduites. Une vingtaine d’entre elles se préparent à lancer leur propre centre de formation. Les groupes Adecco, Accor, Sodexo et Korian ont annoncé l’ouverture prochaine d’un CFA commun. Schneider Electric, Safran, Arc International et Nicollin devraient suivre.