La menace des drones

Source: Les Echos

Voir aussi, extrait du journal le Monde

L’administration pénitentiaire s’arme contre la menace des drones

Par Jean-Baptiste Jacquin, Sofia Fischer

Malgré un nombre encore modeste de survols de prisons par ces engins volants, le ministère de la justice multiplie par 3,6 en 2020 le budget consacré aux équipements de défense.

Circulez, il n’y a rien à voir ! La question des survols de prison par des drones est statistiquement secondaire dans les problèmes de sécurité auxquels est confrontée l’administration pénitentiaire. Pourtant, le sujet est pris très au sérieux. Il est même considéré comme suffisamment stratégique pour imposer un black-out sur les cas d’intrusion de ces petits objets volants et surtout sur l’efficacité des différents dispositifs de détection et de protection actuellement testés.

Au 25 septembre, la direction de l’administration pénitentiaire a recensé quarante-quatre signalements de survols sur vingt-quatre établissements depuis le début de l’année. La hausse du phénomène aurait donc tendance à se ralentir après une année 2018 marquée par un triplement par rapport à 2017, avec quarante-huit signalements de survols de vingt-deux établissements sur l’année. Une minorité de prison est concernée alors que l’on compte 187 établissements pénitentiaires en France.

Il s’agit pour l’essentiel de simples survols des bâtiments, sans connaître les intentions malignes ou ludiques des pilotes de ces drones. « On observe une recrudescence de survols après la période de Noël, assure-t-on au sein de l’administration pénitentiaire. Les tentatives de livraison par drone sont, elles, extrêmement marginales, et se comptent pour l’instant sur les doigts d’une main. »

La dangerosité potentielle des survols est inconnue

Il n’empêche, le phénomène inquiète en haut lieu. Il est d’autant plus anxiogène pour les surveillants qui les constatent que l’intention et la dangerosité potentielle de ces survols sont inconnues. A la maison d’arrêt de Draguignan (Var), quatre drones ont été repérés et signalés à la police depuis janvier. « A chaque fois, c’est la même chose : la police se déplace, on cherche partout dans l’établissement pour voir s’il y a eu des dépôts d’objets, des livraisons, et on ne trouve rien. Les surveillants sont toujours très tendus dans les jours qui suivent, parce qu’ils ne savent pas s’ils seront reçus avec une arme en ouvrant une cellule », explique Christine Villelongue, déléguée Force ouvrière (FO) au centre pénitentiaire.

Les chiffres officiels ne sont absolument pas parlants, faute de mirador dans cette prison ultramoderne. « Quand on est occupé sur un poste, on ne regarde pas en l’air. » Les quatre engins ont été repérés de manière fortuite, pendant la période de battement qui accompagne une relève à l’extérieur. A l’inverse, certains signalements seraient aussi à confirmer, s’agissant d’un son entendu ou d’une lumière suspecte aperçue dans la nuit.

La presse régionale a relaté quelques intrusions ou tentatives préoccupantes comme à Bourg-en-Bresse le 6 avril. Selon Le Progrès, un drone chargé d’un colis a survolé le centre pénitentiaire avant de s’écraser sur le toit d’un garage à proximité. « Si l’engin a pu planer quelques instants au-dessus de la prison, il n’a jamais été en mesure de déposer le téléphone portable qu’il transportait », précise le quotidien. L’arrivée des forces de l’ordre aurait perturbé le pilote… qui se serait enfui en camionnette et n’a pas été retrouvé.

Deux livraisons réussies auraient en revanche eu lieu en 2019 dans les prisons de Ducos (Martinique) et de Valence. En revanche, certaines régions pénitentiaires semblent épargnées. Pascal Vion, le directeur de celle de Dijon, qui va de Belfort à Tours en passant Mâcon et Chartres, affirme que ses établissements n’ont pas eu de problème de survols.

Le recours aux drones encore anecdotique

En matière d’intrusion d’objets illicites en détention, le recours aux drones est donc anecdotique par rapport aux projections par-dessus les murs d’enceinte et aux introductions frauduleuses par des personnels pénitentiaires, des visiteurs ou des prestataires extérieurs.

Au cours de l’année 2018, environ 2 000 projections extérieures par mois ont été recensées et 8 000 à 9 000 objets illicites ont été découverts chaque mois en détention (hors projections). Il s’agit essentiellement de téléphones, de cartes SIM ou de chargeurs, de produits stupéfiants, et plus rarement d’armes blanches.

Mais certains surveillants craignent qu’avec la multiplication des filets anti-projections autour des prisons, les livraisons se « professionnalisent ». « Avant, c’était les familles qui balançaient du tabac, un téléphone pour s’appeler le soir, mais aujourd’hui on est dans un phénomène beaucoup plus inquiétant », estime Mme Villelongue. La maison d’arrêt de Draguignan a déménagé il y a près de deux ans. Les projections, auparavant très faciles depuis la route principale de la ville, sont plus rares vers les nouveaux bâtiments moins accessibles. La hausse des survols de drones pourrait en être la conséquence.

Reste le risque de repérage de dispositifs de sécurité, d’autant plus qu’à la demande du ministère de la justice en 2018, la plupart des prisons apparaissent désormais floutées sur les photos aériennes disponibles sur Google Maps. Un rapprochement avait ainsi été fait entre l’évasion de Redouane Faïd le 1er juillet 2018 de la prison de Réau (Seine-et-Marne) et le survol d’un drone peu de temps avant. L’inspection générale de la justice a écarté depuis cette hypothèse en observant que la zone survolée par le drone n’avait pas été celle d’où l’évasion s’était effectuée.

Mais l’évolution rapide de la technologie fait craindre une menace plus importante à venir. « Le risque de dépôt d’un engin explosif fait partie des hypothèses sérieusement étudiées », explique Sébastien Nicolas, le secrétaire général du syndicat FO des directeurs pénitentiaires. A la prison de Perpignan, Frédéric Jénot, délégué syndical, s’attend lui aussi à une recrudescence des drones « puisque le marché existe et les réseaux sont déjà établis ».

Des solutions anti-drones malveillants testées

C’est pourquoi le ministère de la justice a décidé de passer à la vitesse supérieure. Il prévoit de consacrer 3,6 millions d’euros à la lutte contre les drones malveillants en 2020, selon le projet de budget, contre 1 million d’euros en 2018.

L’administration pénitentiaire participe, depuis 2016, aux groupes de travail interministériels concernant la lutte anti-drone, sous l’égide du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, alors que les installations militaires ou nucléaires sont les premières intéressées. Un marché d’acquisition de solutions anti-drones malveillants, lancé en 2018 par le ministère de la justice, a permis de tester sur plusieurs établissements pilotes trois types de réponses technologiques : le brouillage des ondes de télépilotage, la prise de contrôle à distance, le canon anti-drone.

Ces solutions ne sont pas toutes adaptées à la spécificité pénitentiaire. La surface de l’emprise foncière d’une prison est beaucoup plus petite que celle d’une centrale nucléaire, sans compter que certaines sont en ville. Mais le secret est maintenu sur leur déploiement. L’année 2019 a été consacrée à « vérifier l’efficacité des dispositifs et à objectiver le phénomène afin de calibrer de prochaines vagues de déploiement », explique-t-on en interne.

Seront équipés en 2020 quelques établissements jugés prioritaires en raison de la population détenue ou de la fréquence de survols déjà constatés. L’idée est de ne pas s’enfermer dans un choix technologique. La pénitentiaire ne compte pas rééditer l’erreur qui avait été faite avec les achats successifs et massifs d’équipements de brouillage de téléphones portables qui se sont avérés obsolètes en une poignée d’années.