Sortie de crise du transport aérien: encore 3 ou 4 ans ?

Le transport aérien mettra au moins trois ans à sortir de la crise

Guy Dutheil. Le Monde du 11/04/2020

La question de la survie à trois ou six mois de certaines compagnies est posée

Dans quel état la filière aéronautique sortira-t-elle de la crise ? Combien de temps les compagnies aériennes, les aéroports, les constructeurs d’avions et les équipementiers mettront-ils à s’en remettre ? C’est l’objet de l’étude présentée, jeudi 9 avril, par le cabinet de conseil Archery Strategy Consulting (ASC). Selon celle-ci, les perspectives à court et moyen termes ne sont guère encourageantes. Les compagnies aériennes sont à l’arrêt ou presque. Ainsi, 90 % de la flotte d’Air France-KLM est immobilisée au sol, tout comme celle de sa rivale Lufthansa. Cela a un impact économique énorme. Jeudi, Carsten Spohr, PDG du groupe allemand, a confié « perdre 1 million d’euros par heure ». Au niveau interne, d’aucuns confient que les pertes d’Air France seraient du même ordre. Toutes les compagnies sont logées à la même enseigne.

A en croire l’Association internationale du transport aérien (IATA), leur manque à gagner s’élèverait déjà à plus de 250 milliards de dollars (230 milliards d’euros), soit 30 % de leur chiffre d’affaires global annuel. La question de leur survie est posée. Au point qu’Alexandre de Juniac, patron de l’IATA, sonne l’alarme : « Si on continue comme ça, la moitié des compagnies aériennes auront disparu en juin. »

« Se redimensionner »

D’après les tableaux établis par ASC en fonction de la trésorerie des compagnies aériennes, Air France n’est pas la plus mal placée. Elle a six mois de survie devant elle avant la faillite. Mieux que Lufthansa et l’américaine Delta Airlines, dont la visibilité est réduite à trois mois. Après avoir presque totalement disparu des écrans radars depuis le début de la crise sanitaire liée au nouveau coronavirus, Ben Smith, directeur général d’Air France-KLM, serait, selon nos informations, « à la manœuvre » pour obtenir une forte recapitalisation de la compagnie franco-néerlandaise. Bien au-delà des 6 milliards d’euros évoqués ces derniers jours comme « soutien massif de l’Etat ».

Entouré d’une « équipe resserrée », M. Smith chercherait en coulisse à obtenir près d’une douzaine de milliards d’euros. Cette manne, équivalente à celle que va percevoir American Airlines aux Etats-Unis, permettrait à Air France-KLM de surmonter la crise sans encombre et, surtout, de participer activement à la phase de consolidation qui suivra. Ce renflouement devra toutefois obtenir l’aval des autorités de la concurrence. Avec cette somme, Air France-KLM pourrait prendre des participations au capital de compagnies low cost telles Norwegian ou easyJet. Deux compagnies qui avaient déjà été ciblées par M. Smith et ses équipes avant la pandémie de Covid-19.

A en juger par les projections d’ASC, la pente sera longue à remonter. Le scénario le plus « optimiste », qui prévoit « un rebond post-crise » de l’activité, indique qu’il faudra « trois ans pour retrouver les niveaux de trafic de 2019 et dix ans pour rattraper la trajectoire d’avant la crise ». Les prévisions plus pessimistes mentionnent un prolongement de la crise actuelle jusqu’en 2022 et n’envisagent pas un retour aux niveaux de 2019 avant 2023.

Quel que soit le tempo de la sortie de crise, « les compagnies n’auront d’autre choix que de se redimensionner, de resserrer leurs flottes », et aussi de retarder le renouvellement de leurs appareils, analyse ASC. Chez Lufthansa, M. Spohr a déjà prévenu que la compagnie serait plus petite après qu’avant la crise. Le PDG a aussi annoncé l’arrêt de sa filiale à bas coût Germanwings. Une demi-mesure, car, peu ou pas rentable, cette dernière avait déjà amorcé son passage sous le pavillon de l’autre filiale à bas coûts Eurowings.

Outre les compagnies aériennes, les avionneurs Airbus et Boeing ne devraient pas sortir indemnes de la crise. Selon les prévisions d’ASC, la diminution du trafic aérien va réduire la demande d’avions neufs de « 40 % à 60 % pour les cinq années à venir ». Avant la pandémie, les besoins en appareils neufs étaient estimés à 8 000 d’ici à 2024. Après coup, les compagnies n’en auraient plus besoin que de 5 000, d’après le scénario le plus optimiste, et même seulement de 3 000 dans le pire des cas. Airbus, déjà très largement leader sur le segment des appareils moyen-courriers, pourrait renforcer sa position. A l’inverse, Boeing, particulièrement fragilisé par l’immobilisation, depuis plus d’un an, de son 737 MAX, pourrait en ressortir encore plus affaibli.