Source Le Monde
Le gouvernement annonce l’abandon du projet de nouveau terminal à l’aéroport de Roissy
Par Audrey Garric, Stéphane Mandard
Ce projet « obsolète » n’est plus en adéquation avec les enjeux environnementaux, ni avec un trafic aérien ébranlé par la crise sanitaire, explique au « Monde » Barbara Pompili.
Les grands projets aéroportuaires ont du plomb dans l’aile. Trois ans après l’arrêt de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le projet de construction d’un quatrième terminal à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, le T4, est lui aussi abandonné.
« Le gouvernement a demandé [à Groupe] ADP d’abandonner son projet et de lui en présenter un nouveau, plus cohérent avec ses objectifs de lutte contre le changement climatique et de protection de l’environnement », a annoncé au Monde la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, jeudi 11 février. Le conseil d’administration de Groupe ADP, gestionnaire des aéroports parisiens de Roissy et d’Orly, devrait entériner cette décision la semaine prochaine.
Ce projet colossal (estimé entre 7 milliards et 9 milliards d’euros) devait permettre d’accueillir jusqu’à 40 millions de passagers supplémentaires par an à l’horizon 2037 et d’absorber environ 450 vols de plus chaque jour. Un aéroport dans l’aéroport, comme si Orly – et ses 30 millions de passagers annuels – était intégré dans Roissy.
« C’est un projet obsolète, qui ne correspondait plus à la politique environnementale du gouvernement et aux exigences d’un secteur en pleine mutation, tourné vers l’avion vert de demain », justifie la ministre.
La crise sanitaire et la chute du trafic aérien sont également passées par là. Le projet était basé sur des perspectives de forte croissance du trafic (8,2 milliards de passagers dans le monde en 2037 contre 4,1 milliards en 2017). Or, en décembre 2020, le trafic n’atteignait guère que 25 % du niveau pré-crise et les perspectives de moyen terme sont inexistantes.
Nouvelle feuille de route
Le gouvernement demande désormais à Groupe ADP de proposer un tout autre projet, qui ne sera pas centré sur l’accroissement des capacités de Roissy. « Nous aurons toujours besoin des avions, mais il s’agit d’être dans une utilisation plus raisonnée de l’aérien, et d’atteindre une baisse des émissions de gaz à effet de serre du secteur », poursuit Barbara Pompili.
Ce nouveau chantier devra comporter trois dimensions selon la nouvelle feuille de route du gouvernement. D’abord, l’amélioration des infrastructures pour augmenter l’intermodalité avec le train – l’idée est de favoriser l’accès par le rail à Roissy et non par des vols domestiques. Ensuite, l’essor de la géothermie pour chauffer l’ensemble de l’aéroport et réduire sa consommation énergétique. Enfin, l’adaptation à des avions à hydrogène ou électriques, alors que le plan de relance investit 1,5 milliard d’euros pour mettre au point un avion neutre en carbone d’ici à 2035.
Le gouvernement ne ferme pas complètement la porte à une augmentation de la capacité de Roissy à moyen terme, si le projet ne dépasse pas l’emprise actuelle de l’aéroport, et donc n’implique pas d’artificialisation des sols, et s’il n’entraîne pas de hausse des émissions de gaz à effet de serre.
Alors que le Terminal 4 de Roissy aurait pu générer « jusqu’à 50 000 nouveaux emplois directs et 225 000 nouveaux emplois soutenus [directs, indirects, induits et liés au développement du tourisme] », selon Groupe ADP, le nouveau projet créera également des emplois, assure le gouvernement.
L’annonce gouvernementale s’inscrit dans la lignée du projet de loi « climat et résilience », présenté en conseil des ministres mercredi. Ce texte, issu des travaux de la convention citoyenne pour le climat, prévoit un fort encadrement de la création ou de l’extension d’aéroports à partir de 2022, en affirmant que ces opérations « ne peuvent être déclarées d’utilité publique si elles conduisent à augmenter les émissions de gaz à effet de serre » du secteur aérien. Sont exclues les opérations de travaux et d’ouvrage à l’aéroport de Nantes-Atlantique, de Bâle-Mulhouse (Haut-Rhin), dans les outre-mer et des aéroports militaires. Le projet de loi prévoit aussi l’interdiction de certains vols domestiques lorsqu’une alternative en train est possible en moins de 2 h 30 (avec des exceptions) ainsi que la compensation carbone des émissions des vols intérieurs.
Les autres projets d’extension d’aéroports en France – une dizaine selon les décomptes des ONG, comme par exemple les aéroports de Nice et de Marseille-Provence –, qui ont déjà leur déclaration d’utilité publique, ne seront en revanche pas concernés par la loi Climat et résilience, qui devrait être votée par le Parlement d’ici à septembre.
Une « équation impossible à résoudre »
Le projet de Terminal 4 de Roissy, dont les travaux devaient à l’origine débuter cette année, avait pris trois ans de retard. Il avait été mis à mal par un avis de l’autorité environnementale (AE), rendu en juillet 2019. L’AE décrivait une « équation impossible à résoudre » entre, d’un côté, l’augmentation massive du nombre de passagers et de vols mais aussi de la circulation automobile induite et de toutes les émissions de gaz à effet de serre associées au projet et, de l’autre, le respect des objectifs nationaux et internationaux de la France pour réduire ses émissions. Au-delà des répercussions sur le climat, l’AE avait également pointé la sous-évaluation des nombreuses incidences du projet sur « la santé des résidents et riverains de la plate-forme aéroportuaire » via la dégradation attendue de la qualité de l’air et du bruit.
A l’issue du rapport, le gouvernement avait demandé une « révision » du projet. De son côté, Groupe ADP s’était engagé à suivre les recommandations formulées par l’autorité environnementale et à « adapter [son] projet pour tenir compte des priorités issues de la crise sanitaireet ajuster en conséquence le calendrier » sans pour autant y renoncer.
L’annonce du gouvernement soulagera les nombreux opposants au T4. Pendant la campagne des municipales, une centaine de maires d’Ile-de-France avaient écrit au président de la République pour l’exhorter à retirer le projet.
Dans un courrier adressé le 8 février aux ministres de la transition écologique, des transports et de l’économie, une vingtaine d’associations de défense de l’environnement et de collectifs locaux dénonçaient encore l’« opacité » persistante autour de l’avenir du T4. Ils y voient désormais beaucoup plus clair