Fabien Goubet (« Le Temps »)
ChimieUn démonstrateur produit à très petite échelle des hydrocarbures sans énergie fossile
Tels des alchimistes des temps modernes, des scientifiques sont parvenus à créer des hydrocarbures à partir… de l’air ambiant, et avec un petit coup de pouce du soleil. Leur « système de production solaire de combustible », présenté dans la revue Nature du 3 novembre, n’est certes qu’un prototype, mais il fonctionne tranquillement en conditions réelles sur le toit d’un laboratoire de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) et constitue une intéressante preuve de concept pour des développements ultérieurs, et pourquoi pas un jour la production à grande échelle d’hydrocarbures au bilan carbone neutre.
Le professeur Aldo Steinfeld et son équipe du département de génie mécanique et des procédés de l’EPFZ ont mis au point un système de production organisé en trois parties. D’abord, une unité de capture directe d’air (DAC, selon l’acronyme anglais) extrait le CO2 et la vapeur d’eau de l’air ambiant. Il s’agit d’un procédé connu mais complexe, tant le CO2 est rare dans l’atmosphère. La machine contient un sorbant (ici une solution à base d’amines) qui « adsorbe » l’air, autrement dit qui le fixe, comme un papier tue-mouches arrive à attraper les insectes.
Machine opérationnelle
Les scientifiques n’ont pas eu à chercher bien longtemps pour avoir une machine opérationnelle : elle est fabriquée à l’autre bout de la ville par la compagnie Climeworks, l’un des pionniers en matière de capture du CO2atmosphérique. En tout, le DAC aspire 2 000 mètres carrés d’air par heure et en extrait chaque jour 8 kilos de CO2 ainsi que 20 à 40 kilos d’eau.
Dans un deuxième temps, l’eau (H2O) est « craquée », c’est-à-dire décomposée en dihydrogène (H2) et en dioxygène (O2) par thermolyse, ou dissociation thermochimique. L’énergie est fournie par deux réacteurs solaires qui, pour atteindre les plus de 2 000 degrés nécessaires, sont flanqués de deux grands miroirs paraboliques réfléchissants permettant de concentrer le rayonnement solaire de plusieurs ordres de grandeur. Le H2 ainsi obtenu est associé à du monoxyde de carbone (CO), obtenu quant à lui à partir de la thermolyse du CO2. L’ensemble forme alors du « syngas », ou gaz de synthèse. Ce dernier passe enfin dans la troisième unité, qui le convertit en hydrocarbures ou en méthanol.
Evidemment, les gros SUV zurichois devront patienter pour faire le plein : le système ne produit que 32 millilitres de méthanol en une journée avec sept heures d’ensoleillement. Mais la faisabilité technique du procédé sur lequel cette équipe travaille depuis plus de dix ans est désormais scientifiquement démontrée.
Reste que des obstacles demeurent avant d’envisager une industrialisation. Pour Aldo Steinfeld, il faudrait recouvrir 45 000 kilomètres carrés de ces centrales solaires à hydrocarbures pour couvrir la demande mondiale en kérosène. C’est certes beaucoup (un peu plus vaste que la Suisse), mais cela ne représente que 0,5 % de la superficie du Sahara, où le soleil ne manque pas.
S’agissant du coût estimé, avec entre 1,2 et 2 euros le litre, ce carburant est sans surprise plus cher que le kérosène fossile (environ 0,7 euro le litre). Malgré une matière première abondante et gratuite, les installations solaires demeurent onéreuses. Il n’empêche : des vols neutres en carbone (le CO2 émis étant compensé par celui qui est capturé pour produire le carburant) sont bel et bien possibles.