Aviation civile russe et sanctions

Source: Le Monde

Parmi les 980 avions (dont 300 à 350 Airbus et près de 600 Boeing) commerciaux opérés par les compagnies russes comme Aeroflot, Nordwind Airlines, S7 Airlines et consorts, une grosse moitié, 515, sont loués à des groupes étrangers. Leur valeur est estimée à près de 10 milliards de dollars (environ 9,14 milliards d’euros). Sur ce total, l’exposition des loueurs européens se monterait, prix catalogue, a plus de 5 milliards de dollars.

Restitution des appareils loués

Les loueurs ont jusqu’au 28 mars pour se conformer aux sanctions et récupérer leurs avions. Un délai très court car les difficultés sont nombreuses. Certes, les contrats conclus entre les loueurs et les compagnies comportent une clause qui prévoit la restitution des appareils en cas de sanctions internationales. Mais il n’est pas certain que les sociétés fassent preuve de beaucoup d’empressement.

D’ailleurs, le gendarme de l’aviation russe, Rosaviatsija, a annoncé la couleur samedi 5 mars, en recommandant aux compagnies russes exploitant des avions de location enregistrés hors du pays de cesser les vols vers l’étranger afin d’éviter la saisie des appareils. Aeroflot a ainsi décidé, samedi, d’annuler tous ses vols internationaux à compter du 8 mars, emboîtant le pas à S7. Or il est peu probable que les loueurs puissent envoyer en Russie des pilotes étrangers pour ramener les avions.

Ce sont les loueurs basés en Europe qui sont le plus exposés. Selon le cabinet de conseil Circium, dix loueurs, domiciliés en Irlande, concentrent à eux seuls 238 avions valorisés à 4,1 milliards de dollars. Le géant AerCap est le plus en risque avec 154 avions loués à des compagnies russes. Une flotte évaluée 2,2 milliards de dollars. Toutefois, le numéro un mondial a peu à redouter pour ses finances si les Russes refusent de coopérer. Les avions loués aux compagnies russes ne représentent que 5 % de son parc d’appareils, qui s’élève à plus de 2 000 avions.

Arrêt de la maintenance

Outre la restitution des appareils loués, c’est l’arrêt de la maintenance qui devrait pénaliser durablement la flotte russe. Dès l’entrée en vigueur des sanctions, Airbus, Boeing, Safran et toute la filière des équipementiers et fournisseurs pour l’aéronautique ont coupé les accès à la maintenance. « Nous n’avons plus le droit de vendre des avions ou des pièces de rechange », signale Airbus, qui, comme tous les acteurs du secteur, indique « qu’il va se conformer » aux sanctions. « Les compagnies aériennes russes ont de quoi faire vivre leurs avions pendant six mois à un an », estime un ex-grand patron de l’aéronautique. « Quand vous vendez un avion ou un équipement, vous vendez toujours avec un kit de pièces de rechange qui permet de tenir un certain temps. » Cet ancien dirigeant estime aussi que les compagnies russes ont été prévoyantes et ont constitué des stocks de pièces.

Car les pannes inhérentes à l’utilisation sont régulières, parle d’expérience un pilote long-courrier d’Air France. « Sauf si la flotte est très récente », ajoute-t-il. C’est justement le cas d’Aeroflot, qui, ces dernières années, a totalement renouvelé ses avions. Engagée sur une stratégie premium, la compagnie russe s’est employée a redoré une image passablement abîmée, au point d’avoir une des flottes les plus modernes. Plus récente que celle d’Air France. « Elle a six ans de moyenne d’âge, contre dix ans pour Air France », estime Rémy Bonnery, directeur associé du cabinet de conseil Archery Strategy Consulting.« Dans les moteurs, il y a des pièces à durée de vie limitée. Quand la date est passée, l’avion n’est plus autorisé à voler », explique un ex-grand patron de l’aéronautique

Pour faire voler leurs avions, les compagnies russes pourraient être tentées de dépasser le nombre de cycles prévus par les constructeurs pour certaines de leurs pièces. « Dans les moteurs, il y a des pièces à durée de vie limitée. Quand la date est passée, l’avion n’est plus autorisé à voler. Il en va de même pour le nombre de cycles du moteur. Au-delà, le produit n’est plus homologué », détaille l’ancien patron. L’avion n’est alors plus autorisé à voler hors de ses frontières.

Il n’empêche, même privée de maintenance et de pièces de rechange, l’aviation russe est loin d’être à court de solutions. Nombre de spécialistes du transport aérien soulignent qu’elle pourrait notamment se fournir auprès de pays amis comme la Chine ou encore la Serbie, qui serviraient d’intermédiaires avec les avionneurs. Et évoquent un scénario à l’iranienne. Soumis depuis 1995 à un strict embargo, l’Iran a été obligé, faute de pouvoir se fournir en pièces de rechange et en appareils neufs, de dépecer certains de ses avions pour en faire voler d’autres.

Guy Dutheil