Les low costs et les salaires

Low cost : sortie de crise et malaise social

Le Monde du 03/05/2022

Vue aérienne de Lisbonne, au Portugal, depuis un avion de la compagnie Ryanair, le 4 avril. MANUEL ROMANO/ NURPHOTO VIA AFP

Guy Dutheil

Les compagnies remplissent leurs avions mais affrontent leur personnel, notamment sur les rémunérations

Réservez dès maintenant si vous comptez prendre l’avion pour partir en vacances cet été ! Malgré l’inflation qui galope et la hausse du prix du kérosène, les tarifs des billets n’ont pas augmenté. « Les prix, pour juillet et août, sont encore comparables à ceux de 2019, avant la crise, et même un peu plus bas pour juin », confirme Nicolas Hénin, directeur général adjoint chargé du commercial de Transavia France. Fortement éprouvée par la pandémie de Covid-19, la filiale à bas coûts d’Air France – comme les autres low cost, Ryanair, EasyJet, Vueling ou encore Volotea – ne veut pas casser la « très très bonne dynamique des réservations constatée ces dernières semaines », explique le dirigeant, qui précise : « Nous n’avons pas répercuté la hausse du carburant de manière uniforme sur nos prix. »

Un véritable rush des passagers. « La semaine écoulée, nous avons vendu deux fois plus de sièges qu’en 2019 », explique-t-on chez Transavia. La compagnie n’est pas la seule. Toutes ont retrouvé le sourire. « Nous observons une belle hausse des réservations pour l’été. Jusqu’à fin mars, l’activité était déjà bien supérieure à celle de 2019 », constate Volotea, transporteur espagnol qui relie principalement des villes secondaires en Europe.

Afflux inédit de voyageurs

Il ne devrait jamais y avoir autant d’avions que cet été dans le ciel européen. En cause, « la volonté de rattrapage de voyages qui n’ont pas été faits depuis deux ans », indiquent les entreprises du secteur. Mais ce sont principalement les low cost qui devraient profiter de cet afflux. Elles qui avaient accaparé 40 % du trafic aérien en 2021 pourraient bien, en 2022, dépasser les 50 %. Il faut dire qu’elles ont employé les grands moyens pour y parvenir. Pariant sur la fin de la pandémie et le désir de vacances, elles ont choisi par anticipation de faire croître leur flotte.

Pour preuve, Transavia France a augmenté ses capacités de 50 % par rapport à 2019. Sa flotte, calée à trente-huit appareils avant la pandémie, a été portée à soixante et un avions. Ses concurrents ont opté pour la même stratégie. Volotea a ainsi prévu d’offrir « 47 % de sièges supplémentaires cet été ». Tout autant qu’EasyJet, dont le directeur général, Johan Lundgren, a déclaré, lors de la présentation des résultats semestriels de la compagnie, à la mi-avril : « Nous sommes convaincus que nos plans nous permettront de revenir proches de nos niveaux de vols de 2019 cet été, et de ressortir comme l’un des gagnants de la reprise post-Covid. »

Comme à son habitude, Ryanair a pris les devants et commencé 2022 avec une intense campagne de promotion et des tarifs très attractifs pour la saison estivale. La compagnie irlandaise devrait notamment offrir 120 destinations et plus de 900 vols hebdomadaires depuis son hub de Dublin. L’année pourrait même être exceptionnelle pour les transporteurs à bas coûts. Ainsi, Volotea prévoit déjà de proposer cinq millions de sièges, soit 99 % de plus qu’en 2021 et même 54 % de plus qu’en 2019.

Pour l’heure, la demande de réservations ne se dément pas. Bien au contraire ! Transavia France signale que « le rythme des ventes de billets dépasse la hausse des capacités » proposées. En revanche, la modération des tarifs ne devrait pas durer. La filiale d’Air France prévient déjà que « les tendances fortes pour juillet et août vont nous amener à augmenter progressivement nos prix pour cette période afin de compenser les surcoûts ».

En clair, les prix des billets vont progresser à mesure que l’on s’approchera de la « période de pointe ». Il n’empêche, cette spirale ascendante reste fragile. Outre « l’incertitude » sur l’évolution de l’épidémie, des compagnies low cost sont secouées depuis des semaines par des conflits sociaux. Des mouvements de grève ont ainsi affecté l’activité de Volotea, d’easyJet et de Ryanair. Au sein de l’entreprise irlandaise, tout a commencé le 13 mars, quand la direction a voulu licencier deux hôtesses qui avaient consommé une canette de soda et un paquet de chips. Un préjudice de… 4,30 euros.

Menace de « grève illimitée »

Compagnie la plus profitable d’Europe, Ryanair semble aussi être l’une des plus pingres. « Les personnels navigants commerciaux [PNC], hôtesses et stewards, sont payés au smic et nous n’avons pas d’allocation-repas », précise Damien Mourgues, délégué du Syndicat national du personnel navigant commercial-Force ouvrière (SNPNC-FO). Après un préavis de grève du 13 mars au 18 avril, les syndicats agitent la menace « d’une très grosse grève illimitée, avec des actions le week-end et pendant les départs en vacances ». Il faut dire que la compagnie, qui disposerait d’un « trésor de guerre de 4 milliards d’euros », selon le syndicaliste, n’est pas très partageuse.

Chez Volotea, le conflit social a éclaté quand la direction a voulu obtenir une baisse des rémunérations de ses pilotes. Les navigants de la compagnie ont signifié leur refus au prix de deux week-ends de grève. Ils sont en position de force. Avant la pandémie, l’Association du transport aérien international prévoyait qu’il faudrait recruter 500 000 pilotes pour suivre l’évolution du trafic. Le Covid a inversé le processus, les compagnies ont débauché des navigants et des PNC ou stoppé les recrutements. Avec la forte reprise de l’activité, pilotes et PNC sont devenus des denrées rares. En 2022, Transavia a recruté 500 pilotes – au salaire d’Air France – et PNC pour accompagner sa hausse d’activité. Notamment « des pilotes qui viennent d’autres compagnies et qui sont déjà formés », se félicite M. Hénin.

Outre le salaire, ce sont les conditions de travail, chez Ryanair, Volotea et easyJet, qui nourrissent le conflit. Pour l’instant, « le préavis de grève est suspendu jusqu’à la mi-mai », prévient William Bourdon, délégué syndical SNPNC chez easyJet. « Nous avons entamé des discussions avec la direction sur de nouveaux rythmes de travail », explique-t-il. Faute d’obtenir satisfaction, les syndicats menacent d’une grève coordonnée chez les trois low cost Ryanair, easyJet et Volotea. Une« arme nucléaire », selon le SNPNC, qui sera déclenchée « lors des départs en vacances ».