Ukraine: le décisif soutien américai

Source: Le Monde

Outre l’envoi de matériel et la formation de soldats ukrainiens, les Etats-Unis partagent avec l’Ukraine leur système de renseignement

Cédric Pietralunga

Nous n’aurions pas pu reprendre ces territoires sans l’aide des Etats-Unis. » Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, l’a reconnu lui-même, lors d’une visite du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, à Kiev, le 8 septembre : le soutien de Washington a été essentiel dans la réussite de la contre-offensive lancée par les troupes ukrainiennes dans le sud et dans le nord-est du pays. En quelques jours, l’armée de Kiev a repris 6 000 kilomètres carrés de son territoire autour de Kherson et de Kharkiv, selon le ministère de la défense ukrainien, et sa progression se poursuivait mercredi matin 14 septembre.

Sans surprise, le soutien américain est d’abord matériel. Depuis le 24 février, les Etats-Unis ont livré pour plus de 14,5 milliards de dollars (14,5 milliards d’euros) d’équipements militaires à l’Ukraine, dont 12,5 milliards de dollars ont été directement prélevés dans les stocks de l’armée américaine, affirme le Pentagone. A titre de comparaison, le budget de la défense ukrainien était d’environ 5 milliards de dollars par an avant l’invasion russe. A eux seuls, les Etats-Unis fournissent 70 % de l’aide militaire occidentale. Le deuxième contributeur est la Pologne, suivie du Royaume-Uni, selon le Kiel Institute for the World Economy, en Allemagne. La France se situe au onzième rang.

Hormis des chars lourds et des avions de combat, que Washington et ses alliés se montrent toujours réticents à céder par crainte d’une escalade avec Moscou, les Etats-Unis ont livré une véritable armée en kit à l’Ukraine. Des missiles antichars portatifs (plus de 40 000, dont 8 500 Javelin), des canons (126 M777 de 155 mm), des drones suicide (700 Switchblade et 700 Phoenix Ghost), des hélicoptères (vingt Mi-17), des missiles antiaériens portatifs (1 400 Stinger), des batteries de missiles sol-air (huit Nasams), des véhicules blindés (200 M113 et plusieurs centaines de Humvee)…

Au-delà de la quantité, c’est surtout la qualité du matériel livré qui a permis aux troupes de Kiev d’arrêter l’offensive russe, puis de reprendre l’initiative. De l’avis même de l’état-major ukrainien, la livraison par Washington de seize lance-roquettes multiples Himars M142, à partir de juin (le Royaume-Uni, la Norvège et l’Allemagne ont aussi fourni neuf exemplaires de M270, un modèle équivalent), a marqué un tournant, permettant de frapper le dispositif russe (dépôts, axes logistiques, etc.) jusqu’à 80 kilomètres de distance.

Aspirer les données

La fourniture massive de munitions (800 000 obus de 155 mm, 144 000 de 105 mm, 85 000 de 120 mm…) a été également déterminante pour répondre à la puissance de feu de l’artillerie russe et soutenir un front de 2 500 kilomètres, dont 1 300 kilomètres sont considérés comme actifs. L’opérateur Starlink, propriété d’Elon Musk, dit pour sa part avoir livré 15 000 à 20 000 terminaux satellites en Ukraine, très utiles pour les militaires lorsque les réseaux de communication sont coupés. « Notre objectif, aujourd’hui, est de continuer à fournir aux Ukrainiens tout ce dont ils ont besoin », a résumé le ministère de la défense américain, dans un communiqué publié lundi 12 septembre.

Mise en place, en 2014, après l’annexion de la Crimée, la formation des soldats ukrainiens aux tactiques de l’OTAN a également été accélérée par les Américains, après le début du conflit. Le Pentagone a révélé, lundi 12 septembre, avoir entraîné ces derniers mois quelque 1 500 militaires à l’utilisation de son matériel : 630 l’ont été pour les obusiers M777, 325 pour les Himars, 100 pour les drones… Washington soutient également le programme d’entraînement lancé sur le sol britannique cet été, qui a déjà permis de former plus de 4 000 soldats.

Signe de l’efficacité de ces entraînements, le sous-secrétaire américain à la défense, Bill LaPlante, a déclaré, lors d’une conférence, le 7 septembre, que deux navires russes opérant en mer Noire avaient été coulés en juin, avec des missiles Harpoon occidentaux, opérés de la terre par des artilleurs formés spécialement par les Etats-Unis. « L’armée ukrainienne n’est pas une sous-armée, elle s’entraînait régulièrement avec des troupes de l’OTAN avant la guerre, il y a une base très bonne », confirme une source militaire.

Plus important encore, les Etats-Unis partagent avec l’Ukraine leur système de renseignement. Chaque jour, des avions espions de l’US Air Force sillonnent le ciel au-dessus de la mer Noire et de la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie, pour aspirer les données électroniques et magnétiques émises par l’armée russe. Les images des satellites d’observation américains sont aussi mises à disposition de l’état-major de Kiev, qui dispose d’une vue d’ensemble du théâtre des opérations quasi en temps réel, selon les analystes. 

« On assiste aujourd’hui en Ukraine à la plus grosse opération de renseignement de l’OTAN, depuis la fin de la guerre froide », selon Joseph Henrotin, chargé de recherche à l’Institut de stratégie comparée. S’ils réfutent la présence de conseillers militaires sur le terrain, les Etats-Unis sont impliqués dans la planification des opérations.

Selon un article du New York Times, publié mardi 13 septembre, qui cite des responsables américains, la double contre-offensive à Kherson, puis à Kharkiv, a été préparée avec des militaires du Pentagone au cours de simulations (wargames dans le jargon militaire). « Nous avons fait de la modélisation et des exercices sur table, a reconnu Colin Kahl, sous-secrétaire pour la politique de défense au Pentagone, auprès du quotidien.Cet ensemble d’exercices suggérait que certaines pistes de contre-offensive étaient susceptibles de réussir plus que d’autres. Nous avons fourni ce conseil, puis les Ukrainiens ont réfléchi et ont pris leur propre décision. »Bien aidés quand même.