USA: Boeing et la certification FAA de 737-7 et -10

Source: Le Monde

Un nouveau coûteux retard se profile pour le 737 MAX de Boeing

L’avionneur américain va sûrement devoir en passer par une autre certification pour son appareil cloué au sol depuis un double crash

Guy Dutheil

La poisse colle décidément aux ailes de Boeing. Il semble désormais presque acquis que l’avionneur américain devra en repasser par la case certification pour les deux plus grandes versions de son moyen-courrier 737 MAX. L’Agence fédérale américaine de l’aviation civile (FAA) a revu sa réglementation et exige que tous les avions certifiés après le 1er janvier 2023 soient équipés du système d’alerte de l’équipage baptisé Eicas. Ce qui n’est pas le cas des deux versions, 7 et 10, du 737 MAX.

Ce changement de réglementation est intervenu après que des enquêtes furent menées à la suite des deux crashs de 737 MAX qui, en mars 2019, avaient fait 346 victimes, passagers et membres d’équipage. « Les investigations ont mis en évidence des lacunes dans le processus de certification », signale Stephan Albernhe, président du cabinet de conseil Archery Strategy Consulting.

Pour Boeing, ce délai imparti est beaucoup trop court. L’avionneur de Seattle s’est employé à faire du lobbying pour être autorisé à certifier ces deux appareils selon les modalités précédentes. L’avionneur a même reçu l’aide de Roger Wicker, un sénateur républicain du Mississippi, qui a proposé, fin septembre, par un amendement, de prolonger jusqu’en septembre 2024 la date limite pour obtenir la certification des deux versions allongées du 737 MAX. Toutefois, pour entrer en vigueur, cet amendement doit être approuvé par le Sénat, ce qui est loin d’être gagné. M. Wicker souhaite glisser l’amendement dans le projet de loi sur la défense, qui n’a rien à voir avec le 737 MAX.

En outre, ces agissements ne sont pas du goût du principal syndicat de pilotes aux Etats-Unis. L’Allied Pilots Association, qui regroupe plus de 15 000 navigants de la compagnie aérienne American Airlines, a estimé dans un communiqué, mercredi 5 octobre, que Boeing « doit procéder à l’installation de systèmes d’alerte d’équipage modernes sur ces avions, pour atténuer l’effet de surprise et la confusion des pilotes lors de dysfonctionnements complexes du système ».

« Magie du duopole »

Un passage par la nouvelle réglementation serait très dommageable pour Boeing. Il serait synonyme de retard et, surtout, de surcoûts d’importance. Les conséquences des deux catastrophes du 737 MAX ont déjà lourdement grevé les finances de l’avionneur. Selon les calculs, indique M. Albernhe, la facture dépasserait déjà « 40 milliards de dollars (41,2 milliards d’euros). C’est l’équivalent du budget de développement de deux nouveaux avions long-courriers. Et encore, cette estimation se situerait dans la fourchette basse ».

Un report des livraisons de deux versions longues du MAX pourrait aussi décourager certains clients. « Les compagnies aériennes n’aiment pas que l’on modifie leur calendrier d’ouvertures de lignes ou de formation des équipages. Cela peut les conduire à se reporter vers la concurrence », poursuit M. Albernhe.

Signe supplémentaire de la nervosité de Boeing, en juillet, quelques jours avant l’ouverture du salon de l’aéronautique de Farnborough, dans la banlieue de Londres, le PDG, Dave Calhoun, avait menacé d’annuler tout simplement le programme du 737 MAX 10 s’il n’obtenait pas de pouvoir le certifier avec l’ancienne réglementation. « C’est un risque que je suis prêt à prendre. Et, si je perds le combat, je perds le combat. (…) Même un monde sans le MAX 10 n’est pas si menaçant. » « [Cet avion], c’est un peu tout ou rien », avait alors averti le patron de Boeing. Interrogé, l’avionneur s’est refusé à tout commentaire.

Ces ennuis font l’effet d’une douche froide, alors que Boeing retrouvait une meilleure forme avec 51 appareils livrés en septembre et plus de 90 commandes. Au total, le carnet de commandes culmine à 4 354 appareils. A l’examen, comme le précise M. Albernhe, le constructeur américain pourrait être sauvé par « la magie du duopole »

Dans un tel système, « Airbus comme Boeing ont tout intérêt à ce que les deux rivaux survivent, sinon le système bascule dans le monopole ». Mais la crise du MAX a fait perdre de sa superbe à l’avionneur. Outre qu’il a dû laisser à Airbus sa place de numéro un mondial de l’aéronautique, sa part de marché du moyen-courrier n’est plus que de 40 %, contre 60 % pour son concurrent européen.