Nettoyage des orbites

Source: Le Monde du 17/12/22

Les grandes agences spatiales mondiales se préoccupent de plus en plus de la question de la récupération des débris

P. B.

L’arrivée d’une mégaconstellation comme celle de Starlink remet à l’ordre du jour et revisite la question de la pollution de l’espace. En effet, les opérateurs de ces flottes de satellites projettent de densifier de façon notable la présence d’objets en orbite – et par conséquent augmentent le risque de créer de nouveaux débris –, mais ils ont aussi tout intérêt à ce que lesdites orbites restent propres pour ne pas menacer leurs affaires.

Aussi le choix par Starlink d’une orbite plutôt basse pour ses engins présente-t-il un double intérêt technique : d’une part, le signal met moins de temps à voyager et, d’autre part, en cas de panne, les satellites retombent naturellement en peu de temps sur Terre car, à l’altitude où ils évoluent, les frottements contre la couche supérieure de l’atmosphère les font descendre vite. Sur les quelque 3 600 machines que l’entreprise d’Elon Musk a expédiées dans l’espace, environ 300 ont déjà été désorbitées.

Le risque principal ne vient donc pas de là, ainsi que l’explique Pierre Omaly, expert « ès débris » au Centre national d’études spatiales (CNES) : « Dans l’espace, beaucoup d’objets sont hérités de nos parents ou de nos grands-parents. Il y a ainsi des centaines d’étages de vieux lanceurs, qui mesurent plusieurs mètres et que l’on ne peut pas manœuvrer. Un article [publié en 2021 par la revue Acta Astronautica] fait état des cinquante objets les plus menaçants : ce ne sont pas forcément les plus gros, mais ceux qui se croisent le plus souvent. Ce sont un peu des éléphants dans un magasin de porcelaine. Une collision pourrait générer des milliers de nouveaux débris. » Ce spécialiste poursuit : « Jusqu’ici, on était plutôt dans la philosophie du “ne créons pas de nouveaux débris”. Mais on s’est aperçu par simulation numérique que, même si on cessait d’envoyer des objets dans l’espace, le nombre de débris continuerait d’augmenter par collision ou explosion des engins que nous avons déjà mis en orbite… »

Pince à sucre et harpons

D’où l’idée, de plus en plus présente à l’esprit des agences spatiales, de faire du ménage. D’aller attraper ces « éléphants » situés sur des orbites suffisamment élevées pour y rester pendant des siècles voire plus, et de les redescendre afin qu’ils se consument en rentrant dans l’atmosphère.

Signe de ces temps nouveaux, lors de la dernière réunion de l’IADC (Inter-Agency Space Debris Coordination Committee), en octobre, en Corée du Sud, « un comité rassemblant les treize plus grosses agences spatiales mondiales, qui se réunissent pour trouver des solutions à cette problématique des débris, il a été pour la première fois discuté de la nécessité d’aller enlever des débris », précise M. Omaly.

Le défi technologique est énorme, car se saisir délicatement, en microgravité, d’un objet naviguant à plusieurs kilomètres par seconde et tournoyant sur lui-même ressemble à tout sauf à une sinécure. Plusieurs solutions sont envisagées, qui vont d’une espèce de grande pince à sucre jusqu’au filet, en passant par des harpons, des bras robotisés ou un arrimage magnétique.

Secteur émergent

Issue de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, la start-up suisse ClearSpace s’est vu confier par l’Agence spatiale européenne la tâche de récupérer l’un de ses débris, en l’occurrence un adaptateur d’une centaine de kilos, dispositif qui sert d’interface entre un satellite et sa fusée. ClearSpace a développé le concept de la pince à sucre, avec quatre tentacules qui se saisiront en douceur de l’objet lors d’une manœuvre enveloppante. Le lancement de la mission est prévu pour 2025 ou 2026.

Une autre société, Astroscale, sise à Tokyo, a quant à elle déjà mis son démonstrateur en orbite. Depuis 2021, cet engin baptisé ELSA-d (pour End-of-Life Services by Astroscale-demonstration) s’entraîne à 550 kilomètres au-dessus de nos têtes : l’« attrapeur » relâche dans l’espace une cible qui joue le rôle du débris et dont il essaie ensuite de s’emparer.

Pour Astroscale, ClearSpace et tous les acteurs de ce secteur émergent, l’objectif consiste à montrer sa capacité à effectuer des rendez-vous spatiaux en orbite avec des satellites, pas seulement pour les désorbiter mais aussi, et peut-être même surtout, pour refaire le plein de carburant, voire les réparer afin de leur donner une seconde jeunesse : le camion-poubelle peut servir de dépanneuse.

Reste l’épineuse question des petits débris, de l’ordre du centimètre, assez gros pour détruire un satellite et trop petits pour être vus et suivis de la Terre. Pour eux, « il faut trouver le balai adéquat, reconnaît M. Omaly. Aujourd’hui, il n’existe pas ».

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Alerte, une fusée incontrôlable va s’écraser sur la Terre ! Le 4 novembre, Pékin prévenait que sa Longue Marche-5B allait tomber du ciel, sans pouvoir préciser le lieu. Quelques jours plus tard, c’est sur une plage de l’île Busuanga, aux Philippines, qu’étaient trouvés des débris métalliques de plusieurs mètres de long, certains marqués du drapeau chinois. L’histoire se répète car, en juillet, l’étage d’une autre fusée chinoise, du même modèle, avait semé l’inquiétude. A quelques heures du crash, il était impossible de déterminer sa localisation. Finalement, les 22 tonnes de l’engin avaient plongé dans l’océan Indien. « Il n’y a pas moyen de prédire avec précision le point d’impact, reconnaît Christophe Bonnal, de la direction de la stratégie au Centre national d’études spatiales (CNES), à Toulouse. Dix jours auparavant, la zone concernée est de 1,2 million de kilomètres, la veille de 120 000 kilomètres, et une heure avant de plus ou moins 2 700 kilomètres. » Dans ces conditions, impossible d’évacuer les populations. Or, chaque jour, un objet de plus de 10 centimètres revient sur la Terre, et c’est le cas tous les quatre jours pour un satellite ou un étage entier. Tous brûlent en grande partie en entrant dans l’atmosphère, mais de 10 % à 40 % de leur masse reste intacte.

« Nous savons dire où ils ne vont pas tomber, mais pas où ils vont s’écraser », résume cet expert, par ailleurs président du comité débris orbitaux de l’Académie internationale d’astronautique. Si le risque de faire des victimes est limité – seulement 3 % de la surface du globe étant réellement habitée, les mers et les déserts en couvrant plus des trois quarts –, le danger existe. En août, un éleveur de moutons australien a trouvé dans son champ un morceau de métal de plus de 2 mètres de haut, provenant de l’une des missions de SpaceX, la firme d’Elon Musk. D’autres débris spatiaux ont été retrouvés dans des propriétés voisines.

Ces données illustrent l’un des dangers inhérents à la prolifération des débris, l’autre étant le risque de collision dans l’espace, où les satellites sont de plus en plus nombreux. En l’espace de dix ans, leur nombre en activité est passé de 900 à 6 750. Avec le développement des constellations (Starlink, Kuiper et celle du programme chinois), il pourrait atteindre les 40 000 à l’horizon 2030. 

Augmentation des risques de panne

Quant aux débris, à ce jour, l’Agence spatiale européenne en a recensé 36 000 de plus de 10 centimètres, dont 5 000 satellites inactifs. Les plus petits objets, inférieurs au centimètre voire au millimètre, sont estimés à une centaine de millions. Quelle que soit leur taille, l’impact est sévère. « Un débris en aluminium de un millimètre de rayon, c’est l’équivalent d’une boule de bowling lancée à 100 kilomètres/heure [km/h], à un centimètre, c’est une Renault Laguna roulant à 130 km/h et, à 10 centimètres, c’est une charge de 240 kilos de TNT, souligne Christophe Bonnal. D’où l’importance de surveiller en permanence leur évolution. »

Au CNES, une douzaine de personnes veillent sur la trajectoire de près de 200 satellites. En 2021, le centre a enregistré 3 millions d’alertes, soit une toutes les quinze secondes, mais il n’a procédé qu’à une vingtaine de manœuvres d’évitement, les débris étant passés au loin la plupart du temps. Tous les pays surveillent leur évolution dans l’espace, les Européens, avec le European Space Surveillance and Tracking (EU SST) – auquel participent quinze pays –, les Américains, avec leur Space Surveillance Network, étant les mieux équipés.

Cette pollution devient un sujet majeur de préoccupation en orbite basse (entre 300 et 1 200 kilomètres de la Terre), d’autant que la multiplication des petits satellites implique une augmentation des risques de panne. Si OneWeb ne déplore que deux à trois satellites défectueux sur les 428 déjà lancés, Starlink en compterait plus de 300, soit entre 10 % et 20 % du nombre en orbite.

Autre problème, la multiplication des CubeSats, ces satellites cubiques miniatures de 10 centimètres de côté. Plus de 2 000 sont recensés, dont 1 250 opérationnels. Et la miniaturisation n’en finit pas, avec les satellites américains SpaceBee (« abeille de l’espace »), qui mesurent un tiers d’un CubeSat et pèsent 450 grammes. En 2018, la Commission fédérale des communications (FCC) américaine les avait interdits, estimant qu’ils étaient trop petits pour être suivis de manière fiable, ce qui représentait un danger pour les satellites évoluant sur la même orbite. Elle avait même infligé une amende à un opérateur qui était passé outre à cette interdiction. Depuis, des aménagements techniques ont été effectués, et un projet de 172 satellites a été lancé. Il s’ajoute à la quinzaine d’autres constellations de plus de cent satellites qui seront déployées d’ici à 2025, que ce soit pour l’Internet haut débit, l’observation de la Terre, la météo, la géolocalisation ou la connectivité des objets. Encore plus gênant, une partie de l’orbite basse, entre 700 km et 1 100 km, est devenue « une zone pourrie où rien ne va plus », estime Christophe Bonnal : « 99 % des objets y sont des débris et, si rien n’est fait, ils resteront mille ans avant de descendre sur Terre. »

Difficile coopération internationale

C’est pour cela, souligne-t-il, que OneWeb a choisi de positionner ses satellites plus haut, à 1 200 km. « C’est la première fois dans l’histoire spatiale qu’un opérateur a choisi son orbite en fonction des débris et non de ses performances », note M. Bonnal. Pour tenter de limiter les débris spatiaux, la FCC a proposé, en septembre, de nouvelles règles aux Etats-Unis pour les satellites hors service, demandant qu’ils soient sortis de leur orbite cinq ans après leur cessation d’activité, au lieu des vingt-cinq ans en vigueur actuellement.

« Nous sommes convaincus qu’il n’est plus viable de laisser des satellites en orbite terrestre basse pendant plusieurs décennies », explique l’agence américaine. La décision s’appliquerait pour les futurs satellites. « Cette mesure va peut-être pousser à la mise en place de nouvelles pratiques, comme la motorisation des satellites pour permettre la désorbitation ou accélérer le développement des start-up allant nettoyer l’espace, espère Maxime Puteaux, consultant au cabinet Euroconsult. Négliger ce sujet reviendrait à menacer tout développement futur dans l’espace et la pérennité des constellations. » Difficile, cependant, d’envisager une coopération internationale entre les Etats-Unis, l’Europe, la Russie et la Chine. Ces deux derniers sont responsables de plus de 60 % des débris recensés dans l’espace. Débris qu’ils ont parfois créés eux-mêmes volontairement. Ainsi, en novembre 2021, Moscou admettait avoir lancé un missile afin de détruire l’un de ses satellites, générant un nuage de déchets pouvant mettre en danger la Station spatiale internationale. Pékin avait fait de même quatre ans auparavant, abattant un de ses satellites météorologiques en panne, à 800 km d’altitude.

Dans ce domaine, les Etats-Unis n’ont pas non plus été exemplaires, ayant eux aussi, en 2008, détruit un satellite militaire, USA-193, à 250 kilomètres d’altitude, dont le lancement avait échoué, sous prétexte que l’hydrazine contenue dans ses réservoirs pouvait être dangereuse pour les populations en cas de retombée sur la Terre. « Une explication qui n’a convaincu personne à l’époque », se souvient M. Bonnal. Mais, au mois d’avril, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils ne feraient plus d’essais « de missile antisatellite destructif à ascension directe ». Plus récemment, le 30 novembre, la France a pris à son tour un engagement analogue.

Les évolutions de la réglementation se font en ordre dispersé. Comme le souligne Pierre Omaly, expert « ès débris » au CNES, « les règles à respecter pour pouvoir bien vivre ensemble dans l’espace ont du mal à être uniformisées au niveau international. Il n’y a pas de texte qui chapeaute l’ensemble de la réglementation, et chaque pays interprète à sa façon ce qu’il faut faire ». M. Omaly a aussi une casquette de chef de projet pour mettre en place des technologies rendant l’espace « durable ». Cela peut être un dispositif pour « passiver » les satellites en fin de vie, c’est-à-dire les obliger à vider leurs batteries pour éviter qu’elles n’explosent ensuite sous l’effet des variations extrêmes de température dans l’espace. Cela peut être aussi un système antirotation empêchant un satellite mort de se mettre à tournoyer comme une toupie folle, ce qui rendrait très délicate sa récupération par un futur « éboueur » de l’espace.

L’idée est de rendre plus sûres les orbites, qui vivent déjà sous une épée de Damoclès : « S’il y a trois ou quatre collisions entre satellites, c’en sera fini pour des décennies de l’orbite basse, avertit M. Omaly. On est un peu comme dans l’histoire du gars qui tombe d’un immeuble et qui se dit “jusque-là, ça va”. Au CNES, nous essayons de construire un parachute. »