Ukraine: bientôt le Patriot

Le Patriot américain vient renforcer l’arsenal antimissile ukrainien

Washington a confirmé, mercredi, la livraison à Kiev d’une de ces batteries, pièce maîtresse des dispositifs de défense antiaérienne occidentaux

Cédric Pietralunga. Le Monde du 23/12/2022

C’est un nouveau signe de la montée en gamme de l’armée ukrainienne. Longtemps réticents à céder leurs équipements militaires les plus sophistiqués, par peur d’une escalade avec la Russie, les Etats-Unis ont confirmé, mercredi 21 décembre, la livraison d’un système de défense antiaérienne Patriot aux troupes de Kiev. Une annonce faite en marge de la visite du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à Washington et destinée à rassurer sur la poursuite du soutien occidental, trois cents jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. « Ce que nous faisons, ce que nous continuons de faire, c’est de s’assurer que les Ukrainiens aient les moyens de se défendre efficacement face à l’agression russe », a justifié un haut responsable américain.

Conçu dans les années 1960, le Patriot est considéré comme l’un des meilleurs dispositifs de défense antiaérienne des armées occidentales. Il a été déployé de nombreuses fois sur des théâtres d’opérations, par les Etats-Unis mais aussi par l’un des dix-sept pays à s’en être doté, notamment Israël et l’Arabie saoudite. « Le Patriot est le cheval de bataille de la défense antiaérienne et antimissile de l’armée américaine, un élément clé de la projection de puissance américaine », rappelle le think tank américain CSIS, dans une note publiée le 16 décembre. Ce sont des Patriot qui protègent par exemple l’aéroport de Rzeszow-Jasionka, dans le sud-est de la Pologne, par où transite actuellement une grande partie de l’aide militaire occidentale à l’Ukraine.

Régulièrement modernisé depuis sa première mise en service en 1982, le système Patriot est réputé efficace contre les aéronefs mais surtout contre les missiles balistiques et de croisière, dont la Russie fait un usage intensif en Ukraine pour détruire les infrastructures énergétiques du pays. Il a en revanche plus de difficulté à « engager » les drones volant à basse altitude, une faiblesse partagée par de nombreux systèmes sol-air. Quelque 90 opérateurs sont nécessaires pour faire fonctionner une batterie Patriot, qui comprend un radar, un centre de commandement, un générateur électrique et jusqu’à huit lanceurs dotés de quatre à seize missiles chacun, selon leur nature. Washington reconnaît qu’« un certain temps » de formation, estimé à trois mois minimum par les spécialistes, sera nécessaire avant que les militaires ukrainiens ne puissent l’utiliser.

« Geste provocateur »

Cette batterie Patriot vient compléter les précédentes livraisons de matériels de défense sol-air effectuées par les Occidentaux. Début octobre, l’Allemagne a envoyé en Ukraine une batterie de moyenne portée IRIS-T, dont trois autres exemplaires ont été promis par Berlin. En novembre, les Etats-Unis, l’Espagne et la Norvège ont livré huit systèmes de longue portée Nasams et un nombre indéterminé de batteries de courte portée Aspide. De son côté, la France a envoyé deux batteries de courte portée Crotale sur les douze qu’elle détient, mais celles-ci n’auraient pas encore été déployées sur le terrain.

Selon Kiev, ces matériels occidentaux, additionnés aux systèmes ukrainiens hérités de l’époque soviétique, permettraient déjà de détruire une partie des projectiles tirés par la Russie. Dans un entretien publié le 15 décembre par The Economist, le général Valeri Zaloujny, chef des forces armées ukrainiennes, affirme que 76 % des drones et missiles russes n’atteignent pas leur objectif. Un taux « cohérent avec l’amélioration des capacités ukrainiennes mais aussi la diminution du nombre de missiles guidés russes, qui oblige Moscou à faire davantage des frappes de saturation, plus facilement interceptables », estime Thibault Fouillet, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique.

Détruire les trois quarts des projectiles russes est néanmoins insuffisant pour sauver les infrastructures énergétiques ukrainiennes, ciblées par Moscou. Un scénario de black-out total n’est plus à exclure, affirment les autorités de Kiev, avec des conséquences dramatiques sur les populations civiles mais aussi militaires. « Nous sommes à la limite (…). Si le [réseau électrique] est détruit, les femmes et les enfants des soldats gèlent. Un tel scénario est possible. Dans quel état les soldats seront-ils alors ? Sans eau, lumière et chaleur, peut-on préparer des réserves pour continuer à se battre ? », s’inquiète le général Zaloujny.

A cet égard, une seule batterie Patriot ne suffira pas à changer la donne, mettent en garde les experts. « Un système sol-air ne peut garantir à lui seul une bulle d’interdiction aérienne, a fortiori sur un territoire de la taille de l’Ukraine », assure une source militaire française. Surtout, les vecteurs aujourd’hui utilisés par les Russes sont trop divers (missiles, drones, roquettes, etc.) pour qu’un même équipement suffise à les intercepter. « Pour obtenir une défense multicouche efficace, il faut disposer de plusieurs matériels complémentaires, dans le haut et le bas du spectre, à courte et longue distance, etc. », abonde Thibault Fouillet.

En attendant, Moscou a vigoureusement condamné l’envoi de Patriot en Ukraine, évoquant, par la voix de la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, « un autre geste provocateur des Etats-Unis » qui « pourrait avoir des conséquences ». Dmitri Medvedev, chef adjoint du Conseil de sécurité russe, présidé par Vladimir Poutine, a, de son côté, averti que si les Patriot entrent en Ukraine « avec le personnel de l’OTAN, ils deviendront immédiatement une cible légitime pour nos forces armées ». La Maison Blanche a assuré qu’aucun militaire américain n’accompagnerait ses Patriot en Ukraine.

https://en.wikipedia.org/wiki/MIM-104_Patriot