15 ports spatiaux en Europe

Au-delà du cercle polaire, l’Europe se dote d’un pas de tir de minilanceurs spatiaux

Une quinzaine de ports spatiaux sont actuellement en développement sur le Vieux Continent

Philippe Jacqué

Le Monde du 17/01/23

De la neige, des milliers de sapins à perte de vue et quelques rennes disséminés. Une température presque douce pour la saison, − 8 °C. Çà et là, quelques antennes, paraboles et hangars. C’est d’ici, au sein du site spatial suédois d’Esrange, à 200 kilomètres au nord du cercle polaire, que des mini-fusées pourront bientôt envoyer des satellites de moins d’une tonne dans l’espace. La Suède, qui préside l’Union européenne ce semestre, avait convié, vendredi 13 janvier, les médias, dont Le Monde, pour l’inauguration de ce pas de tir.

Pour l’occasion, le roi de Suède Carl XVI Gustaf, le premier ministre, Ulf Kristersson, et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s’étaient donné rendez-vous dans le Grand Nord. « C’est un grand moment pour l’industrie spatiale européenne », a salué Mme von der Leyen, ajoutant « ce port spatial offre désormais un accès européen indépendant à l’espace ».

Alors que l’Europe utilise depuis de nombreuses années Kourou, en Guyane, pour ses lanceurs lourds, comme Ariane, elle ne disposait pas encore d’infrastructure pour des fusées de petite taille. Contrairement aux Etats-Unis ou à la Chine.

Or, selon les différentes prévisions, le nombre de satellites à envoyer dans l’espace devrait bondir dans les prochaines années. Si 6 750 satellites actifs tournent aujourd’hui autour du globe, ils pourraient être jusqu’à 100 000 en 2040, selon Stefan Gardefjord, le directeur de l’agence suédoise de l’espace.

Selon les dernières données publiées à l’été 2022 par Euroconsult, une société de conseil, les entreprises et les agences gouvernementales du monde entier devraient lancer dans les années à venir en moyenne quelque 1 846 petits satellites (moins de 500 kg) par an. Une accélération vertigineuse du marché.

« Attention à ces chiffres mirobolants », prévient cependant l’économiste Pierre Lionnet, directeur de recherche au sein d’Eurospace, qui rassemble les industriels européens de l’espace. « Ils peuvent être très trompeurs. Ils sont souvent issus des annonces des années passées de nouvelles constellations de satellites de communication… Depuis une dizaine d’années, il y a eu au moins 140 projets présentés, mais peu voient cependant le jour, car ils ne sont pas financés. » La plupart sont, ajoute un autre acteur du spatial, des « constellations PowerPoint » : vendues à des investisseurs sur de belles présentations…

Diversifier

Et quand elles voient le jour, comme les fameuses constellations de communication Starlink d’Elon Musk, ou Kuipers, d’Amazon, ces milliers de satellites sont envoyés dans l’espace par grappe de vingt ou cinquante… et donc par « les gros lanceurs et n’ont pas besoin de petites fusées », reprend M. Lionnet. Le nombre de petits satellites pour les minilanceurs sera donc très limité, jugent plusieurs acteurs du secteur.

Or, entre-temps, les annonces de projets de nouveaux lanceurs par des sociétés privées se multiplient. Selon André-Hubert Roussel, le patron d’ArianeGroup, « il existe pas moins de 40 projets de petits lanceurs en Europe, et plus de deux cents dans le monde ». Dans le sillage de ces sociétés, les pays développent des ports spatiaux. Pas moins de quinze sont inventoriés au Portugal, en Irlande, en Norvège, en Allemagne, en France, voire six rien qu’au Royaume-Uni. Celui d’Esrange, qui a déjà nécessité quelque 15 millions d’euros d’investissement, devrait « organiser son premier lancement d’ici au début 2024 », a assuré Stefan Gardefjord. « Nous visons d’un à trois tir par an et un maximum de douze », indique Philip Pahlsson, chargé de la stratégie du centre spatial.

Détenu par l’Etat suédois, par l’intermédiaire de l’agence suédoise de l’espace, Esrange entend diversifier son activité face aux aléas de lancement de satellites. Le site, qui lance des ballons-sondes et des fusées de sondes par centaines depuis les années 1960, propose des installations de test pour moteurs et fusées en développement. Et elle a été choisie pour tester le projet de fusée européenne réutilisable du programme Themis. D’ici à 2024, ArianeGroup et un consortium d’industriels y testeront, des « sauts » d’une centaine de mètres de haut de sa future fusée. A défaut d’envoyer des satellites, Esrange pourra donc préparer le futur concurrent de la fusée Falcon 9 de Space X.