Restructurée, Air France sort renforcée de ses années de crise
La compagnie a enregistré un bénéfice supérieur à celui de 2019, avant la pandémie
Guy Dutheil. Le Monde du 20/02/2023
We’re back to business [“Nous sommes de retour aux affaires”] », s’est félicité, en anglais, Benjamin Smith, directeur général d’Air France-KLM, à l’occasion de la présentation des résultats annuels de la compagnie aérienne, vendredi 17 février. Il est vrai que le dirigeant canadien a de quoi se réjouir.
Après deux années de pertes abyssales, la compagnie franco-néerlandaise a enregistré un bénéfice net de 728 millions d’euros en 2022, contre seulement 290 millions d’euros en 2019, dernière année avant l’irruption de la pandémie de Covid-19. Mieux, son résultat opérationnel, qui a atteint 1,2 milliard d’euros, est lui aussi supérieur à celui de 2019. Un regain de forme qui tranche avec les pertes de 7,1 milliards d’euros et 3,3 milliards de 2020 et 2021.
Paradoxalement, Air France-KLM semble sortie de la crise mieux armée qu’elle n’y était entrée. En 2022, son chiffre d’affaires, établi à 26,39 milliards d’euros, a terminé assez proche de celui de 2019, qui avait culminé à 27,18 milliards d’euros. La compagnie n’a pourtant transporté que 83 millions de passagers, à comparer aux 104 millions d’avant la pandémie. Air France-KLM revient de loin. En 2021, en pleine tourmente sanitaire, elle n’avait convoyé que 45 millions de passagers.
Outre ses résultats financiers revenus dans le vert, Benjamin Smith a d’autres motifs de satisfaction. Graphique à l’appui, il s’est vanté que ce soit « Air France qui [ait] dirigé la reprise du transport aérien ». La compagnie a fait mieux que ses concurrentes IAG, maison mère de British Airways, et Lufthansa.
Pour y parvenir, elle a déployé « la plus ambitieuse augmentation de capacité pour ses clients ». Ambitieuse mais limitée, car elle ne s’est élevée qu’à 85 % de celle de 2019. Toutefois, a précisé M. Smith, en 2022, les cabines de ses avions « étaient mieux remplies [que trois ans auparavant] ».
Montée en gamme
A l’examen, la compagnie a tiré parti de la crise pour se transformer radicalement. Sa priorité, comme l’a indiqué son patron, était de signer un accord avec le Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL) « pour augmenter la flotte de Transavia ». Le nombre d’avions de la filiale à bas coût a plus que doublé, passant d’une petite quarantaine d’appareils à près de 100 aujourd’hui.
Dans le même temps, Air France a sensiblement réduit l’activité de sa filiale régionale Hop !, « remplacée par Transavia à Orly ». Un choix qui a contribué à alléger ses comptes. « Si nous n’avions pas procédé à cette restructuration, nous aurions perdu plus de 300 millions d’euros »en 2022, a souligné Anne Rigail, directrice générale d’Air France.
Cette perte se serait ajoutée aux 250 millions d’euros évaporés avant la crise. La période Covid a été aussi l’occasion pour la compagnie de tailler dans ses coûts, en se débarrassant de ses avions les plus anciens et les plus gourmands en carburant pour les remplacer par des appareils neufs beaucoup plus sobres et moins polluants.
Jusqu’à présent, la stratégie de M. Smith, qui mise sur les passagers à haute contribution et une montée en gamme, est validée par les faits. Si la clientèle affaires n’est pas totalement revenue – « elle est toujours en baisse de 30 % sur le court-courrier et moins dynamique sur le moyen-courrier que sur le long-courrier », selon Mme Rigail –, Air France a pu capitaliser sur les passagers loisirs afin d’occuper sa business class et même sa première classe, « assez pleine », d’après la directrice générale.
Forte de ses bons résultats, Air France-KLM s’emploie à réduire sa dette, qui a déjà été ramenée en deux ans de 8,2 milliards d’euros à 6,3 milliards. Le groupe est en passe de rembourser au pas de charge toutes les aides et les prêts garantis de l’Etat (PGE). En mars 2023, la compagnie franco-néerlandaise aura remboursé l’intégralité des 2,5 milliards d’euros restants du PGE. En avril, elle reversera, en deux tranches de 300 millions, la moitié des 1,2 milliard d’euros qu’elle avait aussi reçus.
Débarrassée de ce fardeau financier, Air France peut participer à la consolidation du ciel européen. La compagnie nationale portugaise et ses liaisons vers le Brésil seraient dans son viseur. Elle pourrait aussi participer à la restructuration des compagnies françaises à l’activité tournée vers les territoires d’outre-mer. Air Austral, Corsair et Air Caraïbes « seraient dans une situation concurrentielle un peu Shadok », aux dires d’Anne Rigail.
Enfin, la crise aura permis à Air France et Ben Smith de mettre au pas KLM, devenue aujourd’hui une véritable filiale. L’Etat aura, lui aussi, fait une bonne affaire. En 2019, les Pays-Bas étaient montés sans prévenir et au prix fort jusqu’à 12,68 % du capital de la compagnie pour égaler la participation de la France. Trois ans plus tard, la France a grimpé, à moindre prix, jusqu’à 28,2 % du capital, alors que les Néerlandais ne détiennent qu’une modeste participation de 14 %. « Et cela ne bougera pas », a confié Mme Rigail.