Les jeunes pousses du spatial

Source: Le Monde du 8/03/2023

Les start-up françaises du spatial séduisent les investisseurs

Grâce aux fonds levés, The Exploration Company espère lancer son vaisseau en 2024 et Exotrail son « mini-van » cette année

Dominique Gallois

Début d’année dans les étoiles pour deux start-up du spatial qui ont réalisé des levées de fonds supérieures à leurs attentes dans un environnement pourtant moins favorable à ce type de financement. En février, The Exploration Company a collecté 40 millions d’euros, et Exotrail 54 millions. La première lancera son vaisseau spatial réutilisable en 2024, la seconde va accélérer le développement de son offre de mobilité dans l’espace.

Toutes deux ont la particularité d’être très jeunes et d’avancer à un rythme soutenu. The Exploration Company n’a pas encore deux ans, ayant été fondée en juillet 2021 par Hélène Huby. Après dix années passées chez Airbus Defence & Space, cette énarque diplômée de l’Ecole normale supérieure quitte le groupe pour concevoir et réaliser un vaisseau emmenant du fret vers les futures stations et à plus long terme des hommes, avant de revenir sur Terre.

Appelée « Nyx », en référence à la déesse grecque de la création du cosmos, cette capsule est un maillon qui manque aux Européens dans leur chaîne spatiale, les Russes ayant leur capsule Soyouz, les Américains Dragon, Cygnus et Starliner, et les Chinois Shenzhou. La start-up franco-allemande, installée à Munich et à Bordeaux, emploie aujourd’hui cinquante salariés. Et les effectifs devraient doubler d’ici à la fin de l’année. Même rythme soutenu pour le développement de la capsule qui se fera en trois phases.

Quatre tonnes de fret

Cette année, un démonstrateur appelé « Bikini » en raison de sa petite taille (60 centimètres de diamètre pour 40 kilos) devrait être testé. En 2024, ce sera au tour d’un vaisseau de taille intermédiaire de 2,50 mètres de diamètre pesant 1,6 tonne d’être mis en orbite et d’évoluer pendant plusieurs heures autour de la Terre, emportant avec lui 300 kilos de charges. Deux ans plus tard, la capsule qui partira sera dans sa configuration définitive, quatre mètres d’envergure, pouvant embarquer quatre tonnes de fret. Elle restera en orbite six mois avec la possibilité de ravitailler les stations.

Les 40 millions d’euros collectés dans un tour de table mené par les fonds EQT Ventures et Red River West permettront de préparer le vol de 2024 et de développer les technologies de 2026. « C’est plus que ce que nous avions prévu, c’est une bonne surprise », apprécie la dirigeante, estimant que le fait d’avoir déjà une dizaine de clients a attiré les investisseurs. Les trois agences spatiales européenne, française et allemande ont réservé de la place dans ce vaisseau cargo. « Nous sommes la seule capsule financée sur fonds privé, ce qui nous laisse une grande marge de manœuvre », souligne la fondatrice, rappelant que Dragon est financé par la NASA. « Nous pouvons transporter du matériel, tester des produits, faire de la recherche, c’est comme une petite station spatiale. »

Ce projet stratégique pour l’Europe n’en est qu’à ses débuts. « C’est comme si vous gravissiez l’Everest. Quand vous arrivez au camp de base numéro un. Vous êtes satisfaits, puis vous levez la tête et regardez le chemin qu’il reste à faire, cela vous rend modeste », raconte la fondatrice de The Exploration Company.

D’autres levées de fonds seront nécessaires pour poursuivre le développement. Comme pour toutes les start-up. Ainsi, depuis sa création en 2017, Exotrail en est à sa troisième. « Une tous les deux ans », souligne son cofondateur et président, Jean-Luc Maria. Les 54 millions d’euros ont été collectés par Bpifrance, par l’intermédiaire de ses fonds SPI et FDI voués à la réindustrialisation et à l’innovation de défense, ainsi que par Eurazeo et la société d’ingénierie logicielle Celad.

Fondée dans les laboratoires de Paris-Saclay, la société conçoit des logiciels de simulation de missions et de gestion d’opérations de satellites, tout en développant un petit moteur à propulsion électrique pour les petits et moyens satellites de 10 kilos à 250 kilos.

A cela s’ajoute le Space Van, un véhicule de la taille d’un petit réfrigérateur pouvant embarquer des nanosatellites et des microsatellites. Une fois mis en orbite, il ira placer chaque objet à destination. Une logistique du dernier kilomètre dans l’espace, comme le font pour les livraisons des groupes tels Fedex, UPS ou DHL. En fin d’année, une fusée SpaceX devrait embarquer un premier Space Van.

Outre le développement de ce bus de l’espace, cette levée de fonds va permettre aussi d’accélérer la présence à l’international et l’industrialisation des produits, apprécie le cofondateur d’Exotrail, d’autant que le carnet de commandes a triplé en 2022. « Nous allons pouvoir progressivement monter en cadence, passant de quelques moteurs par an, à quelques centaines », cite-t-il en exemple. A cela s’ajouteront aussi des embauches. L’entreprise installée à Massy, dans l’Essonne, et à Toulouse, forte de 90 salariés, envisage plus de 70 recrutements dans le monde au cours des douze prochains mois.

A un moment où les jeunes entreprises ont plus de mal à se financer, ces levées de fonds « vont redonner un coup de boost à l’écosystème », espère Hélène Huby, alors que les projets sont de plus en plus nombreux dans le spatial en France.