Schiphol: couvre-feu

Source: Le Monde

Pays-Bas : l’aéroport de Schiphol prépare une diminution du trafic

Les vols de nuit et ceux des jets privés seront également bientôt interdits pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et les nuisances sonores

Guy Dutheil

Cette fois encore, c’est l’économie qui a primé sur la défense de l’environnement. Le tribunal de Haarlem (Pays-Bas) s’est opposé, mercredi 5 avril, à la décision des autorités néerlandaises de réduire le nombre de vols à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol. Le gouvernement souhaitait limiter l’activité de l’aéroport, un des plus encombrés d’Europe, à 460 000 vols par an, à compter de novembre 2023, puis à 440 000 dès novembre 2024. Aujourd’hui, Schiphol compte 500 000 mouvements par an.

Opposées à cette décision, plusieurs compagnies aériennes, telles KLM, Delta Airlines et EasyJet, avaient saisi la justice pour faire annuler la décision. Le tribunal leur a, en partie, donné raison. Il a en effet estimé que les autorités « n’avaient pas suivi la bonne procédure » et enfreint les règles de l’Union européenne sur la consultation des parties prenantes, dont les compagnies aériennes.

En pratique, le gouvernement aurait laissé trop peu de temps aux compagnies, affectées par cette réduction du nombre de mouvements, pour réagir en conséquence et adapter leur programme de vols. « Cela signifie qu’en conséquence de cette décision Schiphol ne peut pas réduire le nombre maximum de vols à 460 000 pour la saison à venir », a statué le tribunal de Haarlem.

En revanche, il a donné raison aux autorités de l’aéroport, qui souhaitent toujours limiter à 440 000 le nombre de vols à partir de fin 2024, dans leur démarche – commune aux autorités néerlandaises – de décarbonation rapide. En tout cas, plus rapide que ce que promettait KLM en soulignant le renouvellement de sa flotte avec des avions beaucoup moins gourmands en kérosène.

La décision de l’aéroport est une première pour un grand hub comme celui de Schiphol qui, jusqu’à présent, bénéficiait plutôt du soutien de l’Etat pour accroître son activité. L’aéroport comme KLM étaient deux des plus beaux fleurons des Pays-Bas. Pour preuve, le raid boursier surprise, mené en février 2019, par les autorités néerlandaises, qui avaient pris, sans prévenir, 12,6 % du capital d’Air France-KLM. Un coup de force qui avait pour but de mettre KLM sur un pied d’égalité avec Air France et ainsi de peser sur les décisions stratégiques du groupe.

Mais la pandémie de Covid-19 a balayé ces velléités. La disparité des aides financières apportées par la France et les Pays-Bas ont remis les pendules à l’heure. En dépensant 7 milliards d’euros, la France est redevenue le premier actionnaire avec 28,6 % du capital contre seulement 9,3 % aux Néerlandais, qui n’ont versé que 3,4 milliards d’euros à KLM. Une remontée capitalistique doublée d’une reprise en main du management. Le directeur général d’Air France-KLM, Ben Smith, a mis au pas la turbulente KLM en évinçant son directeur général Pieter Elbers. La période du Covid a également vu croître les aspirations environnementales. Elles ont conduit les Pays-Bas, pourtant actionnaires de KLM, à, pour la première fois, tenter de brider son activité en limitant le nombre de « slots », les décollages et atterrissages, à Schiphol.

Pénuries de personnel

Pour KLM, la décision du tribunal apporte de « la clarté » même si « nous préférerions coopérer avec les autres parties plutôt que de les affronter devant un tribunal ». Toutefois, la compagnie, tout comme EasyJet, sera l’une des plus touchées par cette diminution annoncée des vols. En effet, pour satisfaire aux revendications des riverains, ce sont surtout les vols les plus matinaux et ceux de la fin de soirée qui seront affectés. Des créneaux justement occupés par les compagnies à bas coûts comme EasyJet ou Transavia Pays-Bas, filiale low cost de KLM. Leur modèle éonomique suppose de faire tourner au maximum les avions. Chaque rotation renforce leur rentabilité. En diminuant ces vols du matin ou de fin de soirée, « on empêche ces compagnies de faire des gains de productivité », s’inquiète Air France.

Dès la fin 2024, KLM pourrait donc être contrainte de fermer une trentaine de destinations sur les 170 qu’elle opère aujourd’hui. Elle devra renoncer à 24 lignes moyen-courriers et à une demi-douzaine de destinations long-courriers. Outre le manque à gagner, KLM pourrait voir fondre le nombre de ses passagers pour ses lignes longue distance. En effet, les avions qui assurent ces destinations sont, en partie, remplis par des passagers amenés à Amsterdam par des moyen-courriers.

Depuis l’été 2022, les relations ne sont plus au beau fixe entre KLM et l’aéroport de Schiphol, pourtant détenu à près de 70 % par les Pays-Bas. Les pénuries de personnel d’aéroport ont contraint les compagnies à annuler nombre de vols. Un phénomène qui pèse sur les finances de la compagnie. Abonnée à la rentabilité, KLM a enregistré une perte de 2 millions d’euros au quatrième trimestre 2022. Un double coup au moral, car Air France a, elle, affiché un résultat d’exploitation de 144 millions d’euros.

Le meilleur respect de l’environnement que met en avant l’aéroport n’est pas dirigé contre KLM, Schiphol va aussi interdire les vols de nuit et ceux des jets privés. Pour faire bonne mesure, l’aéroport aurait aussi abandonné l’idée de construire une nouvelle piste.