Ukraine: des missiles Storm Shadow (SCALP)

Source: Les Echos

Source: Le Monde

Londres livre à l’Ukraine des missiles à longue portée

Inédit, l’envoi de ces armes devrait soutenir la contre-offensive de Kiev

Cédric Pietralunga

Le tabou est finalement tombé. Alors que l’Ukraine réclamait depuis des mois à ses alliés occidentaux les moyens de frapper l’armée russe en profondeur, le Royaume-Uni s’est décidé à livrer à Kiev des missiles Storm Shadow, dont la portée est supérieure à 250 kilomètres. « Ces systèmes d’armes donnent à l’Ukraine la meilleure chance de se défendre contre la brutalité continue de la Russie », a justifié le ministre de la défense britannique, Ben Wallace, devant la Chambre des communes, jeudi 11 mai, confirmant une information de la chaîne américaine CNN.

Conçu dans les années 1990 par le français Matra et le britannique British Aerospace, le Storm Shadow – appelé Scalp dans les armées françaises – est un missile air-sol guidé destiné à frapper des cibles fixes à longue distance. Emportant une charge explosive de 450 kg, il peut détruire des installations dites « durcies », comme des bunkers. Il est aussi présenté par son fabricant, MBDA, comme furtif, ce qui le rend difficilement interceptable par les défenses antiaériennes. Equipant les armées française et britannique, il a été utilisé en Irak, en Libye ou en Syrie pour détruire des dépôts de munitions, des centres de commandement ou des sites logistiques.

Jusqu’ici, les pays occidentaux rechignaient à fournir des armes à longue portée à Kiev, arguant qu’elles pouvaient être utilisées pour frapper le territoire russe. Les Etats-Unis refusent notamment de lui livrer des missiles ATACMS, un projectile tiré depuis un lance-roquettes Himars et dont la portée est estimée à 300 kilomètres. Mais Londres aurait reçu l’assurance que les Storm Shadow ne seraient utilisés que pour viser des cibles en territoire ukrainien, selon les médias anglo-saxons. « C’est une réponse calibrée et proportionnée aux escalades de la Russie », a défendu M. Wallace, rappelant que les Russes tirent sur l’Ukraine des missiles Kalibr d’une portée de plus de 2 000 kilomètres.

Dilemme pour les Russes

Même si le nombre de Storm Shadow livrés est sans doute limité, eu égard à l’état des stocks occidentaux (celui des Britanniques est estimé à environ 800 unités), le simple fait que les Ukrainiens en disposent va poser un dilemme aux Russes. « Ils vont devoir choisir entre laisser leurs sites stratégiques à portée de tir, avec le risque qu’ils soient détruits, ou les déplacer au-delà de 250 kilomètres, ce qui va gêner leur conduite de la guerre », explique une source militaire. 

Jusqu’ici, les Ukrainiens ne pouvaient frapper les Russes qu’à une distance de 70 kilomètres, qui correspond à la portée des lance-roquettes Himars livrés par les Occidentaux. Kiev dispose bien de drones pour viser des objectifs plus lointains, mais ils ne peuvent emporter que quelques dizaines de kilos d’explosifs.

La portée du Storm Shadow va permettre aux Ukrainiens de couvrir la quasi-totalité de leur territoire, y compris la Crimée. Le port de Sébastopol, où se trouvent les bâtiments de la flotte russe de la mer Noire, se trouve à environ 230 kilomètres de la ville de Kherson, reconquise en novembre 2022. Le pont de Kertch, qui relie la Crimée à la Russie et sert de cordon ombilical aux forces présentes dans la péninsule, peut être également menacé.

« Cela va donner à l’Ukraine la capacité de rendre la Crimée intenable pour les forces russes », a noté le général Ben Hodges, ancien commandant de l’armée américaine en Europe, dans un tweet publié jeudi. La portée du Storm Shadow peut aussi permettre aux pilotes ukrainiens de les tirer à distance du front, à l’abri des défenses antiaériennes ennemies, ou obliger les Russes à déplacer celles-ci pour protéger des sites plus reculés.

Il y a encore quelques mois, les analystes pensaient une telle livraison peu crédible, compte tenu de l’incompatibilité entre les armements occidentaux et les systèmes équipant les avions de combat des forces aériennes de Kiev. Mais l’habileté des militaires ukrainiens, appuyée par des experts occidentaux, aurait permis de surmonter l’obstacle. « Il n’est pas facile de prendre un missile franco-britannique et de l’incorporer dans un ancien avion de l’ère soviétique ou russe. Cela a été l’une des raisons du délai, déterminer si c’était techniquement faisable », selon M. Wallace.

Avec cette annonce, Londres se montre une nouvelle fois la capitale la plus audacieuse dans son aide militaire à l’Ukraine. En janvier, les Britanniques avaient déjà été les premiers à annoncer la livraison de chars lourds modernes aux forces armées de Kiev : 14 Challenger 2 ont été promis. 

C’est aussi le gouvernement britannique qui a ouvert la voie à la formation de pilotes ukrainiens au maniement de chasseurs occidentaux, dont la fourniture reste en suspens. « Le Royaume-Uni sera le premier pays à fournir à l’Ukraine des armes à plus longue portée », avait promis dès le 18 février le premier ministre britannique, Rishi Sunak, lors d’un discours prononcé à la conférence sur la sécurité de Munich. A entendre les Britanniques, les Storm Shadow ne pourront néanmoins pas être utilisés avant quelques semaines. « Ils n’ont pas encore été testés », a expliqué M. Wallace. 

Coïncidence ou pas, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a déclaré, dans un entretien diffusé jeudi par la BBC, que la contre-offensive de ses troupes n’était pas encore prête. « Avec [ce que nous avons], nous pouvons aller de l’avant et réussir. Mais nous perdrions beaucoup de monde. Je pense que c’est inacceptable. (…) Nous avons encore besoin d’un peu de temps », a-t-il justifié, disant attendre des matériels supplémentaires. Moyen de calmer l’impatience de la population ukrainienne et des alliés occidentaux de Kiev ? Ou manipulation destinée à tromper les Russes ? Quoi qu’il en soit, les prochaines semaines s’annoncent cruciales.