Chine: l’accès aux grands fonds du pacifique

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ChineTaïwan dans la ligne de mireDepuis une décennie, Pékin a renforcé son armée, à laquelle le président chinois Xi Jinping demande de se préparer à une offensive. Revue de détail, alors que les tensions n’ont jamais été aussi fortes autour de l’île

Tenir à distance l’US Navy

Les missiles antinavires de l’APL sont ainsi en mesure de tenir à distance la marine américaine, notamment des DF-21D et des DF-26B, d’une portée comprise entre 1 700 et 4 000 kilomètres, selon M. Julienne. Comme d’autres experts, il considère que ceux-ci pourraient interdire l’accès à un groupe aéronaval à l’intérieur de la première chaîne d’îles, qui s’étend du Japon jusqu’aux Philippines, en passant par Taïwan. Ou encore des DF-11, à plus courte portée (jusqu’à 600 kilomètres), positionnés en nombre (entre cent et deux cents selon les estimations) sur les côtes face à Taïwan. Les Chinois apparaissent aussi avancés, voire devant les Etats-Unis, en matière de missiles hypersoniques. Le DF-17, d’une portée de plus de 2 000 kilomètres et opérationnel depuis 2020, serait ainsi en mesure de frapper les capacités américaines basées au Japon, mais aussi sur l’île de Guam, territoire américain situé dans l’est de la mer des Philippines.

L’enjeu pour Washington consiste donc désormais à resserrer ses liens avec les Etats les plus proches de Taïwan, afin de multiplier les points d’appui dans son environnement direct. « C’est le changement en cours le plus important dans la région depuis un an. Les Etats-Unis ne cherchent plus seulement à accroître leur puissance militaire, mais à la disperser, pour être plus opérationnels si nécessaire, et compliquer les calculs de la Chine en cas d’attaque », ajoute M. Hart, du CSIS. Un resserrement des relations à l’œuvre, en particulier avec le Japon et les Philippines, en début d’année.

En janvier, le Japon a renouvelé l’accord de défense qui le lie aux Etats-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Celui-ci prévoit le déploiement, d’ici à 2025, d’une nouvelle force de réaction rapide de marines sur l’île japonaise d’Okinawa, intégrée aux cinquante mille soldats américains déjà stationnés au Japon. Tokyo va par ailleurs dépenser 2,8 milliards de dollars pour muscler sa défense antimissile, avec l’achat de missiles antinavires de type 12 d’une portée pouvant aller jusqu’à 1 200 kilomètres et de quatre cents missiles de croisière Tomahawk américains d’une portée de 2 500 kilomètres, ainsi que de missiles hypersoniques. Ce dispositif doit être opérationnel d’ici à 2026 ou 2027 au plus tard.

Un empressement lié à l’échéance de 2027, à laquelle se réfèrent régulièrement les chefs d’état-major américains, estimant qu’à cette date les capacités militaires de la Chine seront suffisantes pour qu’une offensive contre Taïwan devienne une hypothèse crédible. La CIA soutient que telles sont bien les intentions de Xi Jinping. Le 20 octobre 2022, le chef des opérations navales de l’US Navy, l’amiral Mike Gilday, a même alerté sur la possibilité d’une invasion chinoise avant 2024. Un calendrier que le Pentagone n’a pas officiellement endossé.

La Chine s’affirme aussi dans le domaine aérien. Composée de 2 800 appareils, dont 2 250 avions de combat (chasseurs, bombardiers, etc.), l’aviation chinoise est désormais la troisième au monde, selon le même rapport du Pentagone. Les efforts fournis par Pékin pour fabriquer ses propres moteurs d’avion – et ne plus dépendre de Moscou dans ce domaine – portent leurs fruits. Depuis fin 2021, les chasseurs Chengdu J-10 de quatrième génération et J-20 de cinquième génération sont équipés de moteurs WS-10 fabriqués sur le territoire. Idem pour les transports lourds de type Y-20, depuis fin 2022. L’APL poursuit aussi la construction d’une large gamme de drones, dont un modèle hypersonique de surveillance à haute altitude, baptisé « WZ-8 ».

C’est en partie cette montée en puissance de la composante aérienne de l’armée chinoise qui a conduit les Etats-Unis à signer sans tarder un nouvel accord avec les Philippines. L’extension, en février, de celui qui date de 2014 permet désormais à l’US Air Force d’utiliser quatre bases militaires en plus des cinq qu’elle occupait déjà. L’aviation militaire américaine dispose ainsi de sites dans le nord du pays, près du détroit de Taïwan, et dans la province occidentale de Palawan, située entre la mer de Chine méridionale et la mer de Sulu. L’accord donne aussi aux Américains la possibilité de stocker des armes aux Philippines, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.