Ukraine et utilisation des armes fournies

Source: Le Monde du 29/05/2023

Les attaques ukrainiennes en territoire russe crispent les alliés de Kiev

Cédric Pietralunga

Le rappel à l’ordre est sévère. Alors que l’Ukraine multiplie depuis quelques jours les frappes et les incursions en territoire russe, les Etats-Unis ont fermement rappelé à Kiev l’interdiction d’utiliser des matériels militaires américains pour de telles actions. « Nous ne voulons pas encourager ou permettre cela, nous ne voulons certainement pas qu’un équipement fabriqué aux Etats-Unis soit utilisé pour attaquer le sol russe », a déclaré, jeudi 25 mai, sur la chaîne CNN, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby. « Nous voulons que l’Ukraine soit en mesure de défendre son propre sol (…). Mais nous ne voulons pas voir cette guerre s’intensifier au-delà de la dévastation et de la violence qui frappent déjà le peuple ukrainien », a expliqué le conseiller à la Maison Blanche, assurant avoir des assurances en ce sens.

Cette mise au point intervient après la diffusion sur les réseaux sociaux russes d’images montrant que des blindés américains ont été utilisés, lundi 22 mai, lors de l’attaque du poste-frontière de Graïvoron, dans la région russe de Belgorod, au nord-est de l’Ukraine. Durant quarante-huit heures, des combattants de deux groupes militaires russes ralliés à Kiev ont pénétré en territoire russe sur plusieurs kilomètres, provoquant la mort d’un civil et en blessant treize autres, selon le gouverneur de la région.

Eviter une escalade

La préoccupation occidentale est d’autant plus grande que les troupes de Kiev multiplient ces dernières semaines les attaques sur le sol russe, à des endroits parfois très éloignés de l’Ukraine. Vendredi, deux drones ont encore frappé Krasnodar, une importante agglomération russe située au sud-est de la mer d’Azov et distante de plus de 350 kilomètres du front. La veille, un missile a été abattu au-dessus de la ville de Morozovsk, à 300 kilomètres des lignes ukrainiennes. Belgorod et Briansk, situées en territoire russe, au nord de l’Ukraine, sont également régulièrement la cible de bombardements.

Depuis le début de la guerre, les Occidentaux ont toujours conditionné leurs livraisons d’armes à l’interdiction de leur usage sur le territoire russe, par souci d’éviter une escalade avec Moscou. Le ministre britannique de la défense, Ben Wallace, l’a rappelé lorsque le Royaume-Uni a annoncé, le 11 mai, la fourniture à l’Ukraine de missiles de croisière Storm Shadow, expliquant que ces projectiles devaient uniquement servir à « repousser les forces russes stationnées sur le territoire sous souveraineté ukrainienne ». Capables d’atteindre des cibles situées à 250 kilomètres, les Storm Shadow sont l’arme à la portée la plus longue fournie par les Occidentaux depuis le début du conflit.

Cette position est partagée par Paris et a été à plusieurs reprises affirmée par Emmanuel Macron. « Les armes livrées par la France doivent être utilisées pour défendre le sol ukrainien », rappelle-t-on à l’Elysée. Selon nos informations, confirmant celles du Canard enchaîné du mercredi 24 mai, c’est parce que l’Ukraine s’est engagée à ne pas les utiliser pour bombarder la Russie que la France a donné son accord aux Britanniques pour livrer des Storm Shadow à Kiev. Fabriqué par MBDA, ce missile contient en effet autant de composants britanniques que français et doit donc obtenir le feu vert de Paris pour être exporté. La France réfléchit d’ailleurs à fournir à l’Ukraine la version tricolore du projectile, appelée Scalp. 

Ces mises en garde pourraient-elles freiner les actions ukrainiennes en Russie ? Sur le plan tactique comme stratégique, ces attaques ne sont pas sans intérêt, dans le sens où elles obligent les Russes à fixer des troupes dans des endroits éloignés du front et mettent la pression sur le président Vladimir Poutine. Certains alliés occidentaux de l’Ukraine le comprennent. « La société russe est en train de réaliser que la guerre arrive sur son territoire, a souligné le président lituanien, Gitanas Nauseda, dans un entretien publié par Le Monde le 26 mai. Jusqu’à présent, elle n’était pas en contact direct, ce n’était que des images à la télévision. C’est une vraie guerre, et les Russes devraient en sentir les conséquences. »