Source: Le Monde
La Belgique ne livrera pas de chasseurs-bombardiers F-16 à l’Ukraine
Jean-Pierre Stroobants(Bruxelles, Correspondant)
Membre de la coalition de onze pays européens engagés dans la formation des futurs pilotes ukrainiens de F-16, la Belgique ne livrera finalement pas de chasseurs-bombardiers américains à Kiev. « Nous voudrions pouvoir le faire mais nos appareils ont trop d’heures de vol, et nous ne pouvons envoyer en Ukraine que des appareils que nous ne pouvons plus utiliser nous-mêmes », indiquait, lundi 4 septembre, le lieutenant général Frédéric Goetynck, chef du département des ressources matérielles de la défense belge. Pour l’officier, il ne peut être question de mettre en danger la vie de pilotes ukrainiens et« personne ne prendra la décision politique » de leur livrer des équipements « dont la carrosserie comporte des fissures ».
La ministre de la défense, Ludivine Dedonder, avait déjà indiqué pour sa part que les appareils de l’armée de l’air belge devaient œuvrer en priorité à la protection de l’espace judiciaire du Benelux et des pays baltes. Les autorités belges soulignent, en revanche, que le pays entend bien assumer l’entraînement des pilotes ukrainiens et mobiliser son industrie pour la remise en état d’avions que d’autres pays livreront à Kiev.
Plusieurs experts ont toutefois confié leur scepticisme à propos des explications avancées par la défense belge au sujet des F-16. Parce que les militaires ukrainiens seraient prêts à réceptionner même des appareils en fin de vie, qu’ils utilisent actuellement des Sukhoï et des MiG soviétiques très anciens, et qu’ils possèdent une longue expérience en matière de mécanique aéronautique.
Un mobile plus politique que technique
« Que les F-16 atteignent leur fin de potentiel est un fait, mais selon nos normes seulement. Si une machine correctement entretenue peut encore faire vingt sorties, cela peut faire une différence. Et si on laissait les Ukrainiens choisir leurs propres normes ?, interroge Joseph Henrotin, spécialiste de la stratégie au Centre d’analyse et de prévision des risques internationaux. Je comprends qu’il existe des risques. Mais si l’utilisateur qui, lui, lutte pour sa survie, est prêt à les prendre, qui sommes-nous pour lui dire qu’il a tort ? »
Les F-16 trop vieux ou hors d’usage pourraient, par ailleurs, être « cannibalisés » : divers équipements et pièces prélevés sur les uns pourraient être utiles à la mise à jour d’autres, comme l’envisagent les pays qui ont décidé d’équiper les forces ukrainiennes.
En août, M. Zelensky s’était réjoui de recevoir 42 F-16, mais les Pays-Bas n’ont pas précisé à l’époque le nombre exact des appareils qu’ils comptaient céder. Ils en possèdent 42, dont 24 sont déclassés ou inactifs. Le Danemark a, lui, promis l’envoi de 19 appareils, dont six vers la fin de l’année, la livraison devant s’étaler jusqu’en 2025. Le pays céderait ainsi près de la moitié de sa flotte alors qu’il n’a reçu jusqu’ici qu’un seul F-35, successeur du F-16, dont la Belgique a décidé d’acquérir 34 exemplaires.
Les deux premiers appareils devaient lui être livrés par la firme Lockheed Martin à la fin de l’année, mais leur construction a pris au moins six mois de retard en raison de difficultés dans la mise à jour de la technologie embarquée.
Tous les F-16 belges devraient être cloués au sol dès la fin 2028 alors que la totalité des F-35 ne serait, au mieux, livrée qu’en 2030. Certains voient dans les explications des autorités belges un mobile plus politique que technique. C’est la thèse que développait déjà, en mai, le député centriste Georges Dallemagne, un membre de l’opposition, réclamant un « débat approfondi » – qui n’a pas eu lieu – sur la livraison de chasseurs. « En 2017, un rapport de Lockheed Martin a montré que nos F-16 en fin de vie pouvaient être prolongés de mille heures, ce qui signifie cinq années », précisait-il.
D’où l’idée que la Belgique répugne à se dépouiller d’une partie de sa flotte, parce qu’elle redoute que l’arrivée des successeurs des F16 prennent trop de retard, une hypothèse désormais jugée« probable » par un expert du secteur.