Air France: une bonne année 2023 pour ses 90 ans

Source: Le Monde du 2023-10-11

Air France sort plus forte de la crise

Pour ses 90 ans, la compagnie se dit prête à participer à la consolidation du transport aérien en Europe

Guy Dutheil

Quatre-vingt-dix ans après sa naissance, Air France semble en bonne forme. En tout cas en bien meilleure santé qu’à sa création le 7 octobre 1933 quand Pierre Cot, alors ministre de l’air, décide de la fusion de quatre compagnies aériennes, quatre canards boiteux en difficulté, à la suite de la crise de 1929, pour former ce qui va devenir Air France.

Aujourd’hui, même les syndicats en conviennent. « Sur le plan économique, la compagnie se porte beaucoup mieux que lors des deux ou trois dernières années », constate Laurent Dahyot, secrétaire général de la CGT Air France. Elle va terminer « dans le vert. 2023 est une belle année », apprécie Anne Rigail, directrice générale et première femme à diriger Air France. Au deuxième trimestre, la compagnie a dégagé un résultat d’exploitation positif de 482 millions d’euros. Un retour à meilleure fortune, reflet de la « demande très forte sur le long-courrier et notamment sur l’Atlantique Nord », explique la dirigeante.

Portée sur les fonts baptismaux en 1933, Air France, et plus largement le transport aérien, n’ont pris leur forme actuelle qu’au sortir de la deuxième guerre mondiale. Comme Renault, Air France devient, en 1948, une compagnie nationale surtout consacrée aux vols long-courriers. A partir des années 1960, avec les fameux uniformes de ses hôtesses de l’air dessinés par Marc Bohan, de la maison Dior, Air France rentre dans l’imaginaire des Français qui se pressent les dimanches sur les terrasses d’Orly pour voir décoller ses Caravelle et les Boeing 707.

Un cercle vicieux de pertes

La compagnie mange son pain blanc. Ce sont ses « trente glorieuses », qui voient Air France faire face, dès 1963, à la concurrence de deux rivales, UTA, spécialisée sur les vols vers l’Afrique, l’Asie et le Pacifique ; puis, la même année, Air Inter, qui va, elle, axer son activité sur les destinations domestiques. UTA d’abord puis Air Inter finiront par tomber dans son escarcelle au cours des années 1990.

Le symbole de cette période faste pour la compagnie nationale est le lancement du Concorde le 21 janvier 1976. Ce jour-là, Air France et British Airways font chacune décoller le supersonique. La première de Paris jusqu’à Rio (Brésil), et l’autre de Londres à Bahrein. L’exploitation commerciale du Concorde, très gourmand en carburant, et qui démarra juste après le choc pétrolier de 1973, fut toujours déficitaire. Elle s’acheva en 2003, trois ans après l’accident de Gonesse, qui fit 113 victimes quand l’avion, peu après son décollage, s’est écrasé sur un hôtel.

Mais ce crash est un gros nuage de plus dans le ciel d’Air France qui s’est assombri déjà depuis longtemps. Dès le début de la décennie précédente, quand la reprise d’UTA, achetée l’équivalent de plus de 1 milliard d’euros en 1990, a précipité la compagnie dans les affres de la crise. En effet, un an plus tard, la situation économique se dégrade avec la guerre du Golfe. C’est le point de départ d’un cercle vicieux de pertes qui se creusent et de coupes claires dans les effectifs qui se succèdent. La dette va culminer à plus de 37 milliards de francs (plus de 5,6 milliards d’euros). Bernard Attali, PDG d’Air France depuis 1988, y perd sa place au profit de Christian Blanc, en octobre 1994. Pour sauver la compagnie de la faillite, ce dernier supprime 5 000 postes et surtout obtient une aide l’Etat de 20 milliards de francs (3,04 milliards d’euros).

L’après-crash du vol AF 447

Après cette potion amère, la compagnie va connaître un nouvel essor. Retrouver une certaine aisance financière. Au point qu’Air France, dirigée par Jean-Cyril Spinetta depuis 1997, se sent pousser des ailes. En 1999, le nouveau patron convainc la compagnie américaine Delta Airlines de rejoindre Air France dans l’alliance Sky Team. Un rapprochement qui préfigure la future société commune qui unira, à partir de 2008, les deux nouvelles alliées au-dessus de l’Atlantique Nord, dans une société commune au chiffre d’affaires copieux de près de 15 milliards d’euros par an.

Outre Air France et Delta, Sky Team voit vite s’adjoindre au fil des ans Aeroflot, Aeroméxico, Air Europa, Alitalia, China Southern, Czech Airlines, Kenya Airways, KLM Royal Dutch Airlines, Korean Air, Vietnam Airlines et Tarom. En 2004, M. Spinetta met à profit la privatisation d’Air France pour racheter le néerlandais KLM pour seulement 800 millions d’euros et former ainsi le leader du transport aérien dans le monde.

Mais l’embellie sera de courte durée. La crise de 2008 provoque un coup d’arrêt au point qu’Air France croule bientôt à nouveau sous les pertes. Un an plus tard, le 1er juin 2009, Air France connaît une de ses heures les plus sombres avec le crash du vol AF 447 entre Rio et Paris. Une catastrophe qui a coûté la vie à 228 passagers et membres d’équipage. Un drame surtout qui aura enfoncé un coin dans les relations entre les pilotes et la compagnie, mais aussi entre la compagnie et Airbus, le constructeur de l’A330. Au terme de près de quatorze années d’enquêtes et de procès, Airbus et Air France, poursuivies pour « homicides involontaires » seront finalement relaxées le 17 avril par le tribunal correctionnel de Paris. Au grand dam des pilotes et de certaines associations de victimes.

« Quelqu’un du métier »

C’est le début d’une période noire dont la compagnie va mettre des années à s’extirper. Les dirigeants défilent et les plans sociaux se succèdent. Après Jean-Cyril Spinetta, Pierre-Henri Gourgeon ne tiendra que deux ans. Installé aux commandes d’Air France fin 2011, Alexandre de Juniac va lancer le plan Transform 2015 pour réduire la dette, mais va surtout tailler dans les effectifs. Le climat social va se tendre jusqu’au paroxysme de la chemise déchirée du DRH Xavier Broseta après l’annonce d’un nouveau plan d’attrition avec des départs contraints à la clé. Jean-Marc Janaillac ne sera resté que deux années, avant de démissionner après un référendum raté.

Il faudra attendre l’arrivée, à l’été 2018, du Québécois Benjamin Smith, ex-numéro deux d’Air Canada et premier étranger nommé à la tête de la compagnie, pour qu’Air France reprenne véritablement sa marche en avant. « Cette fois-ci, nous avons quelqu’un qui sait ce qu’il fait. Quelqu’un du métier », se félicite Carl Grain, président du Syndicat national des pilotes de ligne d’Air France. Pour lui, le constat est clair : « Cinq ans après l’arrivée de Ben Smith, la compagnie s’est modernisée, restructurée. Elle fonctionne mieux. » Il faut dire que pendant la pandémie de Covid-19, Air France est passée tout près de la faillite. Quand l’économie s’arrête en mars 2020, avec presque toute sa flotte à terre, elle perd entre 10 millions et 25 millions d’euros par jour.

Au total, la crise aura coûté plus de 10 milliards d’euros à la compagnie franco-néerlandaise. Pour la sauver, les Etats mettent la main à la poche avec deux prêts d’un montant total de 7 milliards d’euros pour Air France, auxquels viennent s’ajouter 3,4 milliards de prêts et d’aides versés par les Pays-Bas pour maintenir KLM à flot. « Aujourd’hui, nous avons remboursé toutes nos dettes, aides d’Etat directes et indirectes et avec plusieurs centaines de millions d’euros d’intérêt », se flatte Mme Rigail. Il n’empêche, « depuis 2008, un bon tiers des salariés sont partis. Aujourd’hui, nous sommes à peine 40 000 contre environ 72 000 en 2008 », n’oublie pas le patron de la CGT d’Air France, Laurent Dahyot. Depuis 2021, « nous avons recommencé à embaucher », précise la directrice générale. En 2023, ajoute-t-elle, 500 pilotes seront recrutés de même que 300 hôtesses et stewards.

Requinquée, ayant récupéré 95 % de son activité de 2019, Air France est prête à prendre toute sa part à la consolidation du transport aérien. Les grandes manœuvres ont déjà débuté. Mardi 3 octobre, Air France-KLM a annoncé vouloir acquérir jusqu’à 19,9 % de la compagnie scandinave SAS. Elle lorgne déjà d’autres compagnies comme la portugaise TAP. La rumeur a même un temps circulé qu’EasyJet pourrait faire l’objet de convoitises. Mais il ne faudrait pas que la situation économique se retourne à nouveau. Comme le dit M. Grain : « Dans le transport aérien, rien n’est jamais certain ! »

InfoPilote

Le 7 octobre, Air France a célébré son 90e anniversaire. Rappelons que la compagnie nationale est née en 1933 après la décision du Parlement français de fusionner 4 compagnies aériennes fragilisées par la crise économique de 1929 : Air Orient, Air Union, les lignes Farman et la Compagnie internationale de navigation aérienne (CIDNA). Elles formèrent d’abord la SCELA (Société centrale pour l’exploitation des lignes aériennes) qui racheta les actifs de l’Aéropostale, en dépôt de bilan depuis 1931, avant d’être rebaptisée Air France. Le 7 octobre 1933, une cérémonie organisée au Bourget officialisait la nouvelle compagnie aux 259 appareils présidée par Ernest Roume, auparavant à la tête d’Air Orient. Depuis 2018, Air France est dirigée par Anne Rigall. Elle compte 255 appareils dans sa flotte et plus de 38 000 collaborateurs dont 3 712 pilotes.