Les mini-lanceurs

Source: Le Monde

La start-up Latitude veut devenir le leader européen de l’accès à l’espace

L’entreprise rémoise se prépare à assembler ses premières microfusées et prévoit d’en produire cinquante par an après 2028

Dominique Gallois

REIMS (MARNE) – envoyé spécial

Aux portes de Reims, dans la Marne, dans une zone industrielle occupée principalement par des carrossiers ou des concessionnaires automobiles, difficile d’imaginer que dans quelques années, sur un site voisin d’une compagnie de transport et non loin d’un Leroy-Merlin, seront assemblées des fusées. C’est pourtant l’ambition de Latitude, une start-up créée en 2019, qui vient pour cela de doubler la surface de ses installations.

Une partie d’un vaste hall de plus de 3 000 mètres carrés sera consacrée à cette activité en 2024. Cette extension permettra d’accueillir dès janvier les nouveaux arrivants, les effectifs passeront alors de 80 à 130 personnes. « Nous allons produire 50 fusées par an, ce qui n’a jamais été fait en France », a annoncé, mardi 21 novembre, le fondateur de l’entreprise, Stanislas Maximin, lors de l’inauguration du nouvel espace. « Très peu ont réussi, rappelle-t-il, aujourd’hui il n’y en a qu’un seul, c’est SpaceX. »

Tout se jouera après le premier vol, prévu à la fin de 2025 ou au début de 2026. « L’important sera d’avoir une montée en cadence régulière en passant à vingt par an, puis à cinquante chaque année » à partir de 2028, poursuit ce jeune PDG de 24 ans. L’entreprise aura alors déménagé sur un site plus vaste, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). L’enjeu est important : Latitude veut devenir « le leader européen de l’accès à l’espace d’ici la fin de la décennie ».

Cette fusée, nommée Zéphyr, n’est pas de la taille des Ariane européennes ou des Falcon américains de SpaceX. C’est un microlanceur près de trois fois plus petit (19 mètres de haut, 1,54 mètre de diamètre) capable, dans sa première version, d’emporter une charge de 100 kilogrammes. Il est destiné au marché en pleine expansion des nanosatellites, de la taille d’une boîte à chaussures et pouvant peser jusqu’à 40 kilogrammes. Sur les 35 000 satellites qui seront lancés d’ici à 2032, près de la moitié, selon le cabinet Euroconsult, seront des objets de petite taille et pourront être mise en orbite par des mini ou des microlanceurs. A l’horizon 2028, les estimations portent sur plus de 1 000 nanosatellites par an. Latitude vise 15 % du marché.

Moteurs « imprimés »

La concurrence s’annonce cependant sévère, avec de nombreux projets en développement. Elle se jouera sur les prix et la disponibilité. Aujourd’hui, le leader, l’américain Rocket Lab, facture ses vols entre 45 000 et 75 000 dollars (41 000 et 68 700 euros) le kilogramme. « Nous serons entre 25 000 et 30 000 dollars », prédit M. Maximin, ce qui est encore loin des tarifs de SpaceX, estimés entre 10 000 et 15 000 dollars le kilogramme. Cependant, le service n’est pas le même, et tient de la différence entre l’autobus et le taxi. SpaceX met en orbite les satellites qui doivent ensuite aller vers leur position alors que le microlanceur de Latitude les placera directement. Ces vols particuliers sont de plus en plus demandés.

La philosophie de Latitude est d’aller vite. « Nous avons un développement itératif, dès qu’un prototype est là nous l’essayons et modifions ce qui doit l’être », explique le directeur technique, Olivier Lebrethon, en commentant les essais de moteurs menés en Ecosse, sur la base de SaxaVord. Des moteurs qui ont la particularité d’être « imprimés » et non fabriqués de manière traditionnelle, grâce à une impression métallique en 3D réalisée par la société luxembourgeoise Saturne Technology. « Nous voulons du simple et de l’efficace », poursuit ce responsable venu d’Airbus. Ce transfuge n’est pas le seul, d’autres arrivent de Thales, Safran, Arianespace, et même du concurrent allemand Rocket Factory Augsburg. Rapidité, également, pour la mise en service. L’assemblage des deux étages prendra quatre à sept jours et l’objectif est de ne pas rester plus de trois jours sur le pas de tir.

Quant au coût total du projet, il est estimé à environ 200 millions d’euros, pour un investissement qui a été jusqu’à présent d’une vingtaine de millions. Latitude procède à des levées de fonds régulières auprès d’actionnaires privés et de fonds de capital-risque, comme UI Investissement, Crédit mutuel Innovation ou Bpifrance.

L’entreprise a aussi bénéficié de financements dans le cadre du plan France 2030, qui prévoit 1,5 milliard d’euros pour l’ensemble du secteur spatial. L’occasion, pour M. Maximin, de dénoncer les pesanteurs administratives du processus d’attribution en tant cette fois que responsable de l’Alliance NewSpace France, une association qu’il a fondée, rassemblant une quarantaine de jeunes entreprises du secteur. En principe, la moitié de l’enveloppe, soit 750 millions d’euros, devait être attribuée avant la fin de 2023. Or, à peine 200 millions ont été versés.