Eruptions solaires et satellites

Source: Le Monde

L’électronique, talon d’Achille des satellites

P. B.

Ils ont beau être invisibles, ils nous fournissent quantité de services. Depuis le positionnement et la navigation de nos moyens de transport, quels qu’ils soient, jusqu’aux données météorologiques si précieuses en ces temps d’événements extrêmes porteurs de catastrophes, sans oublier les télécommunications et la surveillance des manœuvres militaires. On clôturera leur palmarès par les découvertes majeures sur la Terre ou le cosmos qu’ils ont permis aux scientifiques d’effectuer. Il est évidemment question ici des satellites artificiels.

« La vie que l’on connaît est fortement liée au spatial, même si on ne s’en rend pas toujours compte », résume Julien Mekki, chef du service environnement et composants nouveaux au Centre national d’études spatiales (CNES). Or, voguant dans l’espace, les satellites se trouvent aux premières loges lorsque déboule une tempête solaire. Et de leur résistance va dépendre notre civilisation technologique.

L’électronique embarquée constitue leur talon d’Achille. Les fabricants de satellites sont donc contraints d’équiper leurs engins de composants dits « durcis ». Que recouvre cet adjectif ? Réponse de Julien Mekki : « Dans les puces durcies, on va modifier des paramètres des transistors, leur design, pour qu’ils résistent mieux aux radiations. » L’emploi de composants du commerce n’est pas tabou pour autant, ajoute cet expert, « mais il faut beaucoup de tests pour savoir lesquels sont utilisables dans le spatial ». Les essais en question mettent à l’épreuve les matériels électroniques à l’aide de rayons gamma ou d’accélérateurs de particules.

Quels sont les risques d’une tempête solaire dans l’environnement hostile ? Le principal a pour nom latch-up. « C’est ce qui se produit quand une particule traverse un semi-conducteur et active une cellule qui est off et la met en position on : un courant parasite la traverse et détruit le composant. On peut ainsi perdre le satellite », explique Julien Mekki. « Il existe des effets plus modérés, complète-t-il, par exemple une mémoire corrompue : les 0 se transforment en 1 et les 1 en 0. Cela ne détruit pas le satellite, mais le rend indisponible le temps de corriger l’anomalie. » Autant ce risque n’est pas acceptable pour un gros et coûteux engin de télécommunications, autant on peut le tolérer pour des nanosatellites d’observation de la Terre : « Si on arrive à les faire redémarrer, on aura perdu des données, mais ce ne sera pas critique, car ils feront d’autres observations lors de leurs passages suivants », souligne le spécialiste du CNES.

Eteindre avant la tempête

En plus des composants durcis, il existe une autre parade face aux bouffées de particules à haute énergie, précise Julien Mekki : « Si on est alerté suffisamment à l’avance, on éteint les systèmes critiques le temps que la tempête passe et on les rallume après. » Encore faut-il que la prédiction soit fiable, car les opérateurs ne sont pas forcément emballés par l’idée de mettre leurs engins au chômage technique sur la base d’alarmes hasardeuses.

Mais le péril que les sautes d’humeur du Soleil font peser sur les composants électroniques ne s’arrête pas à l’orbite terrestre. « Si une douche de particules arrive jusqu’au sol, on peut avoir des soucis dans les avions, voire dans les automobiles, prévient Julien Mekki. Les véhicules d’aujourd’hui contiennent énormément d’électronique et de tels événements pourraient mettre en danger certains de leurs composants critiques. Nous regardons donc les conséquences d’une grosse tempête solaire jusqu’au sol. » Au sol, c’est aussi là que sont implantés les centres de calculs ou de données, les serveurs du cloud, des bâtiments entiers remplis d’électronique.

Au risque naturel s’ajoute d’ailleurs l’aléa géopolitique, avec notamment la tension croissante entre la Chine et Taïwan, où se concentre la majorité des fonderies de semi-conducteurs. « Développer des composants pour le spatial et ne pas être dépendant de l’Asie ou des Etats-Unis est devenu un enjeu de souveraineté », souligne Julien Mekki. Pour répondre à ce défi stratégique, le CNES travaille donc avec les industriels hexagonaux et a participé à l’émergence de la société NanoXplore. Celle-ci, en partenariat avec le fabricant STMicroelectronics, a développé des puces durcies qui sont désormais adoptées par des poids lourds de l’industrie des satellites comme Thales Alenia Space ou Airbus.