Un startup allemande sur le marché des eVTOL

Source: Le Monde

Lilium se rêve en champion européen de l’avion électrique

https://lilium.com/jet

Le financement de la start-up est assuré, pour l’essentiel, par des acteurs non européens

C. Bt.

WESSLING (BAVIÈRE)-envoyée spéciale

Dans la salle de réunion du siège de Lilium, à Wessling, dans la banlieue de Munich (sud), un aréopage d’une dizaine de personnes est rassemblé. Ce sont les Français de Lilium, l’un des groupes les plus importants parmi les cinquante-neuf nationalités représentées au sein de la start-up allemande créée en 2015, qui construit un petit avion sur batteries à décollage et atterrissage vertical, eVTOL – pour electric vertical take-off and landing« Nous sommes près du but ! », claironne Christophe Hommet, directeur des essais de vol chez Lilium depuis fin 2022, après vingt ans passés chez Airbus. Il se montre enthousiaste à l’idée de participer à la décarbonation du secteur.

Le jet électrique a obtenu, en novembre 2023, son agrément DOA (design organisation approval), le sésame aux conditions draconiennes délivré par l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne, qui lui permet de démarrer la production. Lilium prévoit le premier vol habité fin 2024 et les premières livraisons en 2026, une fois les autorisations obtenues. Au total, 750 commandes ont déjà été reçues.

Le DOA est une étape majeure pour l’entreprise, après des années difficiles. En 2022, des doutes avaient été exprimés dans la presse sur la capacité de Lilium, coté à New York depuis 2021, à tenir ses promesses et ses délais. Au point que le cofondateur du groupe, Daniel Wiegand, avait dû laisser la direction exécutive de l’entreprise à un vétéran de chez Airbus, Klaus Roewe, ancien directeur du programme A320.

« Technologie disruptive »

Depuis, les critiques se sont calmées, même si le financement reste un défi. « On est au tout début de l’aviation électrique. C’est une technologie disruptive, dans un secteur sensible sur le plan de la sécurité. Il est normal que les critiques soient exigeantes. Mais il faut aussi voir que la concurrence aux Etats-Unis et en Chine devient de plus en plus agressive », explique Yves Yemsi, directeur de la production, arrivé en août 2019 chez Lilium après seize ans chez Airbus. En Allemagne, Lilium est en concurrence avec Volocopter, implanté à Bruchsal (Sud-Ouest), près de Karlsruhe, qui développe aussi son avion électrique.

Le jet de Lilium offre six places confortables, en plus de celle du pilote. L’originalité de sa technologie tient aux 36 petites turbines installées sur des panneaux pivotants sur les ailes. En phase de décollage, elles sont orientées vers le bas, pour basculer ensuite à l’horizontale, une fois l’altitude atteinte. Dans un premier temps, l’objectif sera de rallier des villes à des distances jusqu’à 170 kilomètres, à près de 250 kilomètres à l’heure.

L’ambition de Lilium est de s’attaquer d’abord au marché des jets privés, avant d’élargir l’offre au segment du transport régulier régional. « Nous sommes déjà en mesure de proposer des vols à moins de 2 euros le kilomètre par passager, et bientôt proches de 1 euro le kilomètre », assure Sébastien Borel, qui dirige le développement commercial de Lilium.

D’ici quelques années, l’entreprise compte développer un avion électrique plus grand, à décollage conventionnel, qui serait capable de relier deux capitales européennes comme Berlin et Paris. « Les batteries vont devenir de plus en plus performantes. Elles permettront d’avoir une plus grande autonomie de vol, poursuit Yves Yemsi, qui insiste sur l’ancrage européen de la société et de son réseau de sous-traitants. Il faut absolument qu’on crée un écosystème européen sur ce secteur, où une excellente régulation européenne existe. »

Lilium est-il en train de devenir un champion technologique européen capable de rassurer une Allemagne minée par la crise de compétitivité de son économie ? La firme est issue de l’UnternehmerTUM, la pépinière de start-up « deeptech » adossée à l’université technique de Munich, considérée aujourd’hui comme l’écosystème le plus prometteur du pays pour accélérer la modernisation de l’industrie. Lilium a levé en neuf ans la somme considérable de 1 milliard d’euros et près de 1 000 personnes y travaillent, essentiellement des ingénieurs. Pourtant, le potentiel du petit avion décarboné convainc davantage les grands fonds étrangers que les investisseurs allemands.

« Jusqu’à l’été [2023], seulement 2 % de notre financement provenait d’Allemagne. Le reste venait des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de Suisse, de Chine. Cela en dit long sur notre rapport au risque », regrette Daniel Wiegand, 39 ans, le cofondateur du groupe, qui relève qu’un de ses rivaux aux Etats-Unis, Joby, vient de recevoir une subvention publique de 500 millions de dollars (457 millions d’euros) pour financer son développement. Lors de l’une des dernières levées de fonds de Lilium, en mai 2023, le plus gros investissement – 100 millions d’euros, avec une option pour le double – a été fait par un investisseur… chinois, le géant des services informatique Tencent.

Assis dans son avion, le jeune fondateur se félicite des débats en cours outre-Rhin sur la crise du modèle économique allemand, qu’il juge indispensables pour amorcer un changement. « Je pense que le pays dans son ensemble ressent le fait que nous nous trouvons dans une phase de mutation structurelle, observe-t-il. Certaines technologies qui nous faisaient gagner beaucoup d’argent jusqu’ici sont encore là, mais elles ne sont plus aussi importantes. Et les grandes innovations se produisent ailleurs et quand nous innovons, nous n’arrivons pas à passer au stade commercial. Nous avons besoin d’un tournant culturel vers plus de risque, pour que des jeunes entreprises technologiques innovantes puissent avoir la confiance de se développer ici. »