Airbus et la décarbonation

Source: Le Monde

« La part des émissions de l’aérien va rester stable en valeur absolue »

J.-M. B. , G. D. , D. G.

Qu’avez-vous pensé d’une tribune récemment publiée dans « Le Monde » qui invite toute la filière aéronautique à réduire son activité pour préserver l’environnement ?

La petite musique de la décroissance n’est pas nouvelle. Il est certain qu’en arrêtant toutes les activités humaines, on arrêtera effectivement les activités émettrices de carbone… Plus sérieusement, le transport aérien représente aujourd’hui environ 2,5 % des émissions de CO2 mondiales. 

Nous sommes totalement engagés pour traiter cette partie du problème et décarboner. Ces 2,5 % sont relativement stables depuis trente ans, malgré la croissance du secteur, ce qui témoigne des progrès technologiques accomplis sur nos avions… 

L’aviation n’est qu’au début de son histoire. C’est un moyen de transport extrêmement adapté au monde moderne, qui correspond aux enjeux de protection des écosystèmes.

A vous entendre, il faudrait plus d’avions et moins de trains ?

Je trouve que le débat sur le train est biaisé. On semble oublier l’empreinte des infrastructures ferroviaires sur les écosystèmes, la faune, la flore, le sous-sol, sans parler de l’empreinte carbone de leur construction. Je suis favorable au ferroviaire là où cela a du sens. Mais le besoin d’aviation sur la planète est énorme. On ne peut pas remplacer l’avion pour faire des liaisons transatlantiques, ou même pour aller de Rome à Madrid. Je suis favorable à la modération de l’utilisation de l’avion. En revanche, vouloir réduire artificiellement notre activité, c’est une forme de modération excessive. Si l’on veut de la décroissance sur les 2,5 %, que fait-on alors pour les 97,5 % restants ?

Les détracteurs de l’avion dénoncent un moyen de transport élitiste…

En 2023, l’avion a transporté 4 milliards de passagers. Il est donc beaucoup plus démocratique que ce que l’on croit. Les pays en voie de développement, où il n’y a pas d’infrastructures, disent qu’il sera beaucoup plus dévastateur de bâtir une infrastructure ferroviaire. Ils lui préfèrent l’avion, beaucoup plus efficace et beaucoup plus écologique. Un raisonnement aussi valable pour des pays comme les Philippines, l’Indonésie, l’Australie, l’Amérique du Sud ou les Etats-Unis.

Lors des vingt ans à venir, la flotte va-t-elle doubler, le trafic aérien augmenter, tout comme les émissions de CO2 ?

Non ! Pour les vingt ans à venir, il va se passer peu ou prou la même chose que ce que nous observons depuis trente ans. La part des émissions de l’aérien va rester stable, notamment grâce à un emploi de carburants durables d’aviation (SAF) [issus de matières premières non fossiles] de plus en plus important, avec une feuille de route pour notre secteur qui vise le zéro émission nette en 2050.

Est-on capable de produire assez de carburants durables d’aviation ?

Chez Airbus, même si c’est à petite échelle, nous utilisons déjà 10 % de SAF dans nos opérations. En France, Air France-KLM, leader sur ce plan, fait quant à lui des efforts importants et consomme aujourd’hui 17 % de la production globale de SAF. TotalEnergies a prévu de produire 1,5 million de tonnes de SAF en 2030. Cela paraît peu par rapport aux 260 millions de tonnes de kérosène consommées chaque année, mais c’est beaucoup si on considère que Total ne représente que 2 % de la production mondiale de kérosène. La montée en puissance du SAF est une réalité. Et elle s’accompagnera de l’arrivée du premier avion à hydrogène en 2035, et d’un nouvel avion monocouloir « ultrasobre » au cours de la prochaine décennie.