Boeing: la purge au sommet

sources: Ci dessus Les Echos, ci dessous Le Monde

Le PDG de Boeing, Dave Calhoun, quitte l’entreprise, qui remanie sa direction

L’avionneur est dans la tourmente depuis l’accident du vol 1282 d’Alaska Airlines, le 5 janvier

Arnaud Leparmentier, NEW YORK- correspondant

Il aura fallu moins de trois mois après le très grave accident du Boeing 737 MAX 9 d’Alaska Airlines, qui avait perdu une porte en plein vol le 5 janvier, pour que le patron de Boeing se retire. Dave Calhoun, le PDG de l’avionneur américain, a annoncé, dans la matinée du lundi 25 mars, son départ de l’entreprise à la fin de 2024. Cette annonce s’accompagne d’un remaniement profond de l’équipe de direction. Stan Deal, responsable de la branche aviation commerciale, quitte immédiatement la société et se voit remplacé par Stephanie Pope, qui avait été nommée en début d’année cheffe des opérations.

« Comme vous le savez tous, l’accident du vol 1282 d’Alaska Airlines a été un moment décisif pour Boeing », déclare M. Calhoun dans une lettre adressée lundi aux employés. « Nous devons continuer à réagir à cet accident avec humilité et une transparence totale. Nous devons également faire preuve d’un engagement total en faveur de la sécurité et de la qualité à tous les niveaux de notre entreprise. »

Le président du conseil d’administration, Larry Kellner, ne verra pas son mandat renouvelé à la prochaine assemblée générale. Le conseil a choisi Steve Mollenkopf, ancien patron de Qualcomm, pour prendre la relève. C’est à lui qu’il appartiendra de trouver un successeur à Dave Calhoun. Boeing espérait se redresser en 2024, après les deux accidents de 737 MAX 8 survenus en octobre 2018 (Lion Air en Indonésie, 189 morts) et mars 2019 (Ethiopian Airlines, 157 morts) en raison d’un système de stabilisation en vol défaillant.

Défiance

Dave Calhoun, ancien de General Electric, avait d’ailleurs été nommé après ces catastrophes, début 2020, pour redresser l’entreprise et redorer, à Washington, le blason d’un groupe très dépendant des commandes publiques militaires. L’accident de janvier 2024 l’a fait replonger au plus bas. Boeing fait l’objet d’une double enquête civile de la Federal Aviation Administration (FAA) et du FBI, lequel a écrit aux passagers d’Alaska Airlines qu’ils avaient peut-être été victimes d’une infraction pénale. Pis encore, l’accord conclu après les catastrophes de 2018 et 2019, qui avait mis Boeing à l’épreuve après une amende de 2,5 milliards de dollars (2,3 milliards d’euros), pourrait être dénoncé par la justice américaine.

Les patrons des principales compagnies américaines avaient demandé à rencontrer le conseil de surveillance du groupe, signe de défiance, alors que celles-ci subissent par ricochet une crise de confiance et doivent réduire leurs plans de vol, faute d’appareils disponibles. Ces pressions ont conduit le conseil a accéléré le mouvement et à décider d’un remaniement complet, même si M. Calhoun, âgé de 66 ans, a assuré à la chaîne CNBC que la décision de démissionner était « à 100 % » la sienne.

Les premiers résultats des investigations sont accablants pour l’avionneur américain. Il s’est avéré que la porte-bouchon de l’avion, livrée en septembre 2023 par une ancienne filiale, Spirit AeroSystems, avait été enlevée par des techniciens de Boeing, qui voulaient réparer des rivets, et qu’ils avaient oublié de remettre les boulons servant à la fixer.

Globalement, le processus qualité de Boeing se révèle catastrophique. Sur quatre-vingt-neuf audits menés par la FAA pour tester ses procédures industrielles, l’entreprise a failli trente-trois fois.

Spirit AeroSystems est aussi visée. Etablie dans les plaines du Kansas, à Wichita, cette entreprise qui fabrique le fuselage des avions est un faux nez de Boeing. Elle lui appartenait jusqu’en 2005, date à laquelle elle a été introduite en Bourse. L’objectif était de ne pas octroyer aux ouvriers du Kansas, Etat rural au coût de la vie bon marché, les mêmes augmentations que dans la région de Seattle, berceau historique de Boeing, où le coût de la vie est prohibitif.

Les audits de Spirit AeroSystems ont mis au jour de multiples défaillances de qualité. Sur treize conduits par la FAA, sept se sont soldés par un échec, selon les révélations du New York Times. Le quotidien donne l’exemple d’ouvriers utilisant une carte magnétique de chambre d’hôtel pour tester un joint de porte. Boeing a confirmé être en pourparlers en vue de racheter la société et de réinternaliser le processus de production. Début mars, la FAA a donné trois mois à Boeing pour présenter un « plan d’actions correctives complet visant à résoudre les problèmes systémiques de contrôle qualité » et effectuer une mise à niveau de « la culture de sécurité [du groupe] ». Lundi, l’action de l’entreprise, qui avait perdu 27 % de sa valeur depuis le début de 2024, était en hausse de 1,4 % à Wall Street.