Dépenses militaires

Source: Le Monde

Les dépenses militaires augmentent partout dans le monde

Les budgets consacrés à la course à l’armement ont bondi de 6,8 % en 2023, la plus forte hausse depuis 2009

Jean-Michel Bezat

Le sentiment d’une menace plane sur le monde, de plus en plus de pays ont des velléités bellicistes et la guerre traditionnelle, dite « de haute intensité », a réapparu sur le sol européen avec l’invasion russe en Ukraine. Quoi de plus logique, dès lors, que les dépenses militaires mondiales ne cessent d’augmenter ? Elles ont atteint 2 443 milliards de dollars (2 109 milliards d’euros) en 2023. Une hausse de 6,8 % en termes réels par rapport à 2022, affirme l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) dans son rapport annuel, publié lundi 22 avril.

L’institut de référence, qui agrège armements, dépenses d’administration, salaires, avantages sociaux et recherche et développement, souligne que c’est « la plus forte augmentation d’une année sur l’autre depuis 2009 » et « le plus haut niveau atteint par les budgets militaires dans le monde ». Les cinq continents sont concernés. A eux seuls, les trente et un pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pèsent 55 % des dépenses ; les dix plus gros dépensiers – Etats-Unis et Chine en tête – y ont consacré 1 799 milliards de dollars, 105 milliards de dollars de plus qu’en 2022. Enormes en valeur absolue, ces chiffres doivent être relativisés : l’effort ne pèse que 2,3 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, soit « 306 dollars par être humain ».

Il reste que « les Etats donnent la priorité à la force militaire, ce qui risque d’alimenter la spirale “action-réaction” dans un contexte géopolitique et sécuritaire de plus en plus instable », prévient Nan Tian, chercheur principal du programme dépenses militaires et production d’armement du Sipri. 

La Chine n’est pas en reste

Dans ce contexte, la puissance et la supériorité du complexe militaro-industriel américain ne se dément pas. Washington a englouti 916 milliards de dollars (+ 2,3 %), soit 68 % des dépenses de l’OTAN. Un effort très supérieur à celui de ses partenaires. Il nourrit l’acrimonie de Donald Trump contre des pays européens jugés mauvais payeurs et ses menaces de ne plus se porter à leur secours.

« Pour les Etats européens de l’OTAN, ces deux dernières années de guerre en Ukraine ont fondamentalement modifié les perspectives en matière de sécurité », constate Lorenzo Scarazzato, chercheur au Sipri. La règle indicative des 2 % du PIB national pour la défense, fixée il y a dix ans, est « de plus en plus considérée comme une référence ». Onze pays l’ont atteint ou dépassé, et d’autres sont en passe de le faire.

De son côté, l’Ukraine (huitième pays du classement) est entrée en économie de guerre et y consacre 58 % de son budget. Avec 35 milliards de dollars d’aides de ses alliés, en 2023, l’effort global représente 91 % de celui de la Russie. Celle-ci a, pour sa part, accru ses dépenses de 24 %, à 109 milliards de dollars, et de 57 % depuis son annexion de la Crimée en 2014. Les industries de défense gonflent artificiellement une croissance, qui atteindra 3,2 % en 2024, selon le Fonds monétaire international.

Dans cette course à la sécurité et à la puissance, la Chine n’est pas en reste, même si son budget est trois fois inférieur à celui des Etats-Unis et que son effort ralenti depuis la période 1994-2013, en raison d’une croissance économique plus faible. Avec 296 milliards de dollars (+ 6 %), elle n’en pèse pas moins la moitié des dépenses de l’Asie et de l’Océanie. L’effort va surtout au « renforcement de la préparation au combat de l’Armée populaire de libération », note Xiao Liang, autre expert du Sipri.

On comprend les craintes de ses voisins, qui se réarment eux aussi : Taïwan (+ 11 %), le plus menacé, et le Japon (+ 11 %). L’Inde, elle, poursuit son réarmement (+ 4,2 %) en diversifiant ses fournisseurs et en développant le « made in India ». Elle reste au quatrième rang mondial avec une dépense de 83,6 milliards de dollars.

L’attaque des terroristes du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, a aussi changé les perspectives au Moyen-Orient, l’autre grande zone de guerre. Engagé dans une campagne meurtrière à Gaza, l’Etat hébreu vient désormais en deuxième position dans la région avec un budget de 27,5 milliards de dollars (+ 24 %), loin derrière l’Arabie saoudite (75,8 milliards de dollars), tandis que la Turquie occupe la troisième et l’Iran la quatrième.

Le nombre des guerres et des conflits, surtout intra-étatiques, ne baissera pas, notent les chercheurs de l’université d’Uppsala, en Suède, qui ont développé un programme de données précises. Il y a, bien sûr, les plus meurtriers (Ukraine, Gaza, Soudan, Yémen, Congo…) et ceux qui durent (Syrie, Birmanie, Nigeria…) ; ils vont continuer à nourrir l’activité des industries militaires et expliquer la hausse des dépenses publiques pour les armées. Il y a aussi les conflits potentiels, notamment en Europe (Russie-Europe de l’Est…) et en Asie (Chine-Taïwan, Chine-Inde, Inde-Pakistan…), qui alimentent les usines d’armement. Sans oublier l’extension des domaines de la guerre (fonds marins, espace, cyberespace…), dans les conflits hybrides ou de haute intensité, qui requièrent des moyens supplémentaires.