Réchauffement climatique et transport aérien

Source: Les Echos

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Le Monde

Le secteur aérien, en croissance, ne veut pas de taxation climatique

Le trafic devrait approcher le chiffre record de 5 milliards de passagers en 2024, selon l’Association du transport aérien international

Guy Dutheil

La lutte contre le réchauffement climatique s’affiche comme une priorité pour les compagnies aériennes. Un passage obligé pour une activité de plus en plus attaquée pour son impact sur l’environnement, même si les responsables de l’aviation civile ne cessent de rappeler que celle-ci ne représente que 3 % des émissions mondiales de CO₂. Pour tenter de parer aux critiques, le secteur a lancé l’offensive sur plusieurs fronts, lors de l’assemblée générale de l’Association du transport aérien international (IATA), organisée du 2 au 4 juin, à Dubaï, aux Emirats arabes unis.

Il y a eu d’abord l’attaque préventive. Par avance, Willie Walsh, directeur général de IATA, s’est refusé à une réduction de la croissance du transport aérien pour lutter contre le réchauffement climatique. Pas question de freiner la dynamique du secteur. Il est vrai que 2024 pourrait être l’année de tous les records. Avec près de 5 milliards (4,96 milliards) de passagers transportés, les compagnies vont dépasser les 4,54 milliards de 2019, la dernière année avant la survenue de la pandémie.

Cet afflux de voyageurs annonce aussi un gonflement des bénéfices au point que IATA a revu ses objectifs à la hausse. Alors que l’association, qui représente 320 compagnies aériennes et 83 % du trafic mondial, tablait sur 25,7 milliards de dollars (23,6 milliards d’euros) de profits cumulés, elle compte désormais sur 30,5 milliards de dollars. Quant aux chiffres d’affaires des compagnies, ils flirtent désormais avec les 1 000 milliards de dollars.

Carburants durables

Mais, pour les responsables de IATA, cette bonne santé du transport aérien ne doit pas être l’occasion d’une hausse des prélèvements. « Les politiques parlent d’augmenter les taxes pour accélérer la transition vers la neutralité carbone. Il sera difficile pour les compagnies aériennes d’absorber seules cette hausse sans augmenter le prix des billets d’avion », a souligné Yvonne Manzi Makolo, PDG de Rwandair et membre du conseil d’administration de IATA. Les compagnies aériennes ne manquent pas de rappeler que entre 2020 et 2022, leurs pertes cumulées ont été évaluées à 183 milliards de dollars.

Manière de freiner les ardeurs fiscales, le directeur général a signalé qu’« avec seulement 6,14 dollars par passager, les bénéfices sont très faibles ». En effet, les recettes par passager des compagnies sont modestes, car les coûts vont eux aussi battre des records en 2024. Ils devraient atteindre 936 milliards de dollars du fait de la hausse du carburants. La facture devrait s’établir à 291 milliards de dollars, soit en moyenne un tiers, à elle seule, des coûts d’une compagnie.

Mais le secteur ne fait pas que défendre ses positions, il donne aussi des gages. Le sommet de Dubaï a été l’occasion pour les compagnies aériennes de présenter une nouvelle initiative pour lutter contre le réchauffement climatique. IATA a annoncé, dimanche 2 juin, la création d’un registre qui prendra en compte les réductions d’émissions des gaz à effet de serre grâce à l’introduction des carburants d’aviation durables (SAF, à base de biomasse ou d’huiles usagées). Cet instrument mesurera les efforts des compagnies et calculera le chemin qui leur reste à parcourir avant d’atteindre la neutralité carbone. « Nous ne resterons pas assis en attendant que d’autres résolvent nos problèmes », a fait savoir Marie Owens Thomsen, cheffe économiste de IATA.

La route reste longue avant que les compagnies aériennes ne remplacent leur kérosène par des SAF. « Les projections d’un triplement de la production de carburants d’aviation durables en 2024, à 1,9 milliard de litres, sont bien parties pour se concrétiser », s’est félicitée l’association. Une hausse toutefois modeste car, en 2024, les volumes de SAF ne représenteront que « 0,53 % des besoins en carburant aérien », a été obligée d’admettre IATA.

Prudente, elle prévoit aussi qu’à l’horizon 2050, où elle fixe son objectif de neutralité carbone, les SAF représenteront « 65 % » des carburants d’aviation. A cette date, ajoute Mme Owens Thomsen, il faudrait 500 millions de tonnes de carburants renouvelables pour répondre aux besoins des compagnies aériennes. Pour y parvenir, il faudrait multiplier par 1 000 la production mondiale.

« Maîtriser le niveau de trafic »

La cheffe économiste fait le pari qu’avec « l’aide des pouvoirs publics cet objectif est tout à fait accessible ». Selon elle, le secteur du transport aérien devrait atteindre « les 50 millions de tonnes de SAF en 2029 ». D’après M. Walsh, « l’objectif de zéro émission carbone ne peut être atteint par les seules compagnies aériennes. Nous avons besoin que les autorités mettent en place les bonnes incitations ». En effet, les carburants d’aviation durables coûtent encore de trois à quatre fois plus cher que le kérosène.

Du côté des défenseurs de l’environnement, on salue la volonté du transport aérien d’utiliser de plus en plus de SAF. « C’est un levier technologique incontournable pour la décarbonation de l’aviation », explique Jérôme du Boucher, responsable aviation France pour l’ONG Transport & Environment. Néanmoins, ajoute-t-il : « Nous pensons qu’il en existe d’autres à actionner en parallèle. Il faut maîtriser la quantité de SAF et donc le niveau de trafic. » A l’en croire, selon « les prévisions de croissance du trafic aérien, il sera impossible de produire autant de SAF que nécessaire ».

Tout cela n’empêche pas le patron de IATA de rester droit dans ses perspectives, même compte tenu des ennuis multiples et récurrents de Boeing. Selon lui, « les prévisions de IATA intègrent déjà les retards de livraison »de l’avionneur américain. En revanche, ces déboires pourraient à terme faire un peu de place à la concurrence. Notamment chinoise. Avec le premier vol du moyen-courrier C919, le 28 mai 2023, « les Chinois ont saisi l’occasion pour aller de l’avant », a constaté M. Walsh.