Les ambitions chinoises dans l’espace

Source: Le Monde

L’ambition sans limites de la Chine dans le domaine spatial

Espace

La mission franco-chinoise SVOM, qui a débuté le 22 juin, doit observer le ciel pour y détecter des sursauts gamma

Harold Thibault

XICHANG (CHINE) – envoyé spécial

Cinq, quatre, trois, deux, un… Dans un fond de vallée du Sichuan, dans l’ouest de la Chine, le propulseur commence à cracher ses flammes. La fusée Longue Marche-2C s’arrache de son pas de lancement, s’élève dans un bruit fracassant et disparaît rapidement dans les nuages bas. Le grondement s’estompe, la fumée se dissipe. D’abord tendus, les femmes et hommes en uniforme bleu éclatant de l’Administration spatiale nationale de Chine ont désormais le regard satisfait. Comme habitués à voir tant de temps de travail en amont s’échapper vers le ciel en quelques instants. La Chine entend réaliser une centaine de lancements cette année, après en avoir effectué 67 en 2023. Moins que les Américains (109) grâce à SpaceX, mais bien plus qu’aucun autre pays – la Russie était troisième avec 19 lancements.

Depuis la base de Xichang, la fusée vient d’emporter, ce samedi 22 juin, un satellite franco-chinois, le SVOM. Derrière ce nom étrange se cache une ambitieuse mission d’observation des sursauts gamma, des émissions colossales d’énergie qui se produisent notamment lors de la mort d’étoiles géantes et qui, ne nous parvenant que maintenant, ont eu lieu il y a des milliards d’années. La poursuite de leur étude pourrait éclairer sur l’histoire de l’Univers. En amont, il a fallu dix-huit ans de travail entre la France et la Chine. Désormais en place, le satellite détectera bientôt ces rayons sur lesquels pourront plancher les astronomes au sol.

Un drapeau chinois sur la Lune

Ce lancement à peine célébré, la Chine pourrait se féliciter ces prochains jours d’un autre succès. Les échantillons que sa mission Chang’e-6, du nom de la déesse chinoise de la Lune, a prélevés début juin sur la face cachée du satellite naturel de la Terre devraient atterrir en Mongolie-Intérieure autour du 25 juin. Deux kilos de roche et de poussière prélevés par une foreuse dans le cratère Apollo, situé dans la zone Pôle Sud-Aitken, le plus grand bassin d’impact du Système solaire. Un poids modeste mais qui pourrait aider à comprendre pourquoi les deux faces, visible et cachée, de la Lune sont si différentes, la croûte de la seconde étant de vingt kilomètres plus épaisse.

Pour cette mission lunaire qu’elle qualifie de « complexe », la Chine a dû relever des défis techniques. Pour communiquer avec cette face non visible, il faut d’abord placer un satellite en orbite lunaire qui sert de relais de communication, ce qu’elle avait fait en mars. Et, pour rapporter les échantillons, elle a dû réussir un nouveau rendez-vous entre le module de remontée de la Lune et celui, en attente en orbite, de retour vers la Terre, ce qu’elle était déjà parvenue à faire en 2020. Au passage, le drapeau rouge aux cinq étoiles jaunes a été planté sur la face éloignée. Fait de fibres de basalte pour résister aux températures extrêmes, il pourrait rester là pour plus de dix mille ans, se sont félicités les ingénieurs chinois, en attendant de fêter cette « première ».

Des premières, c’est ce que cherche ardemment la Chine, bien consciente d’arriver sur le marché des exploits spatiaux, grands vecteurs de fierté nationale, avec des décennies de retard sur la puissance dominante américaine. Le pouvoir a fixé les échéances, comme un contrat avec sa population : avoir fait de la République populaire de Chine une « puissance de premier plan » avant ses 100 ans, en 2049. Soit faire la course en tête.

L’accélération chinoise suscite une nouvelle course à l’espace. Pékin compte envoyer les deux premiers Chinois sur la Lune d’ici à 2030, soixante et un ans après Apollo 11. Mais la mission américaine Artemis-3 pourrait lui voler ce moment, en y posant une femme et un homme de la NASA en 2026.

Pour la Chine, le grand défi s’appelle SpaceX, avec son rythme industriel. En décembre 2023, un éditorial du site officiel China Space News prévenait que les équipes chinoises devaient avancer avec un « sentiment d’urgence », les principaux contractants chinois étant « visiblement à la traîne » derrière le groupe d’Elon Musk. La Chine espère être la première, en 2030, à ramener des échantillons de la planète Mars avec sa mission Tianwen-3. Elle a pour elle ses investissements importants (14,5 milliards de dollars en 2023), la qualité de ses ingénieurs, la planification méticuleuse associée à son système politique qui permet de maintenir des constantes dans les programmes. Mais elle se trouve confrontée aux avancées des Etats-Unis, à leurs lanceurs réutilisables et à leurs budgets colossaux. Derrière eux, elle est le seul pays à avoir en autonomie les attributs de puissance dans tous les secteurs spatiaux.

Accélération monumentale

Le rattrapage avait d’abord vocation de politique intérieure. En octobre 2003, une décennie après avoir lancé son programme de vol habité, la Chine envoyait pour la première fois et par elle-même un homme dans l’espace, l’astronaute Yang Liwei. Bien sûr, le Soviétique Youri Gagarine avait franchi ce cap quarante-deux ans plus tôt mais, pour l’opinion chinoise, ce fut la preuve que le rattrapage était bien en marche.

Les scientifiques qui collaborent avec la Chine ont été les témoins d’une accélération monumentale. La première fois qu’il est venu en Chine, il y a presque deux décennies, François Gonzalez, chef du projet SVOM au Centre national d’études spatiales, s’était étonné de constater que la partie chinoise entendait confier le travail sur ce satellite si compliqué à un modeste laboratoire d’une cinquantaine de personnes. Après avoir changé de nom et déménagé deux fois, le centre chinois compte aujourd’hui plus d’un millier d’employés et est au niveau des meilleurs en Europe. « Ce n’est qu’un exemple, tout le spatial chinois est comme ça. Il y a eu une évolution incroyable sur les quinze ou dix-huit dernières années et, maintenant, on voit ce que la Chine est capable de faire dans l’espace », dit-il.

Le pays franchit une à une les étapes. Une première station spatiale sommaire en 2011, l’envoi d’un engin sur la Lune deux ans plus tard, une sonde sans retour sur sa face cachée en 2019, la mise en orbite en juin 2020 du dernier des 45 satellites de sa constellation de géolocalisation Beidou pour être indépendant du système GPS, le lancement d’une sonde vers Mars le mois suivant. L’année 2022 constitue un cap : en novembre, la Chine achève la construction de sa propre station spatiale, Tiangong, le « Palais céleste ». Une revanche pour le pays, interdit de collaboration à la Station spatiale internationale du fait d’une loi sur la sécurité nationale américaine adoptée en 2011 empêchant quelque coopération que ce soit avec elle dans ce secteur. Pékin ne manque pas de multiplier les invitations à coopérer aux pays en développement, dont elle se pose en tête de pont.

Sur la route qui mène à l’entrée de la base de lancement de satellites de Xichang, où les sentinelles de l’Armée populaire de libération veillent au grain, un grand slogan traduit les ambitions de la puissance chinoise : « Servir la mission avec responsabilité, avoir le courage d’innover et de percer. Se mobiliser pour un site de lancement spatial de classe mondiale ».