Airbus et les cadences

Source: Le Monde

Airbus revoit ses objectifs de production à la baisse pour 2024

L’avionneur ne réussira pas à livrer 800 appareils, mais plutôt 770

Isabelle Chaperon

Les déboires de Boeing ne suffisent pas à rendre la vie d’Airbus plus facile. Alors que le marché de l’aviation commerciale est en plein boom, le constructeur européen peine à remonter ses cadences de production. Conséquence, l’avionneur a annoncé, lundi 24 juin qu’il ne livrerait pas comme prévu 800 appareils en 2024, mais plutôt 770. Son objectif de produire, par mois, 75 Airbus de la famille A320Neo – son monocouloir best-seller – est décalé d’un an, de 2026 à 2027.

En parallèle, Airbus a dévoilé qu’il comptait inscrire une charge de 900 millions d’euros sur ses comptes du premier semestre pour faire face à des « difficultés commerciales et techniques » dans son activité spatiale. Airbus s’attend à enregistrer, en 2024, un résultat opérationnel ajusté de 5,5 milliards d’euros, contre 6 milliards à 7 milliards d’euros espérés précédemment. Et comme 30 avions de moins seront livrés, les rentrées de cash seront moindres, le gros des paiements s’effectuant quand les compagnies aériennes reçoivent les appareils.

Si les marchés se doutaient bien que le géant de l’aéronautique serait contraint de revoir à la baisse ses ambitions concernant les livraisons, ces nouveaux objectifs apparaissent « en dessous des attentes », soulignent les analystes d’UBS. Pas étonnant, dès lors, si cet avertissement sur les résultats a été mal pris par la Bourse : le cours de l’action Airbus a plongé de près de 10 % mardi 26 juin.

L’environnement « s’est récemment dégradé du fait de tensions géopolitiques et surtout à cause de difficultés spécifiques dans la chaîne d’approvisionnement », a expliqué lors d’un échange avec des analystes financiers Guillaume Faury, le directeur général du groupe. Une petite musique connue. Airbus ne parvient pas à renouer avec son niveau de production record de 2019, avec 863 avions livrés. En 2023, il en avait 735.

L’avionneur externalise 60 % à 80 % de sa production à des sous-traitants qui ont du mal à suivre le rythme, à la fois en matière de recrutements et de capacité d’investissement. Conséquence, équipements de cabines et autres aérostructures manquaient déjà à l’appel en 2023. Mais, depuis quelques mois, les moteurs tardent également à parvenir sur les chaînes d’assemblage : c’est devenu « un problème significatif », a reconnu M. Faury.

Filière fragilisée

La filière aéronautique mondiale, très fragmentée, avait été désorganisée pendant la pandémie de Covid-19. Elle s’est retrouvée à nouveau fragilisée par la mise au ban de la Russie, gros producteur de titane, puis par la quasi-fermeture du canal de Suez, qui rallonge les délais d’acheminement entre l’Europe et l’Asie. Autant de turbulences qui incitent Airbus à renforcer ses accès aux composants et matériaux stratégiques. « Nous voulons sécuriser les sources d’approvisionnement avec une dimension plus régionale pour être moins sensibles aux tensions géopolitiques, embargos, restrictions, difficultés d’accès ou prix qui seraient difficiles à assumer », avait précisé le jeudi 13 juin M. Faury au Paris Air Forum.

Dans cette logique, un consortium regroupant Airbus, le motoriste Safran et le financier Tikehau Capital avait acquis, en avril 2023, le métallurgiste spécialisé Aubert & Duval auprès d’Eramet. L’avionneur européen suit également de près les négociations que mène Boeing pour racheter Spirit AeroSystems. A cette occasion, Airbus devrait acquérir, selon l’agence Reuters, « tout ou partie » de quatre usines de l’équipementier aéronautique en difficulté, fabriquant fuselages, nacelles ou boîtiers de moteurs pour l’A350, l’A320 ou l’A220.

Boeing, de son côté, cherche à reprendre la main sur un maillon faible de sa chaîne de sous-traitants, coupable de nombreux défauts de fabrication, afin d’assurer un meilleur contrôle sur la qualité de ses structures. A trop mettre la pression sur les fournisseurs de portes, nacelles ou fuselage, le risque ultime en effet est de réduire la sécurité des aéronefs.

Les incidents successifs ayant affecté ces dernières années certains de ses appareils, dont en mars la porte arrachée du moyen-courrier 737 MAX 9 lors d’un vol Alaska Airlines, ont ainsi contraint Boeing à revoir sa politique d’externalisation qui l’avait amené en 2005 à sortir de son giron ses usines de Wichita et d’Oklahoma pour créer Spirit AeroSystems. Pour faire le chemin inverse, le géant américain devrait débourser, selon le Wall Street Journal, l’équivalent en actions de 4 milliards de dollars (3,7 milliards d’euros).