Source: Le Monde
Recours contre les taxis volants électriques dans le ciel de Paris
La Mairie et des associations ont saisi la justice pour faire annuler l’autorisation d’exploitation d’un héliport pendant les Jeux olympiques
Stéphane Mandard
Les taxis volants pourront-ils atterrir et décoller du « vertiport » d’Austerlitz, la plate-forme installée sur la Seine près de la gare parisienne (13e arrondissement), pendant les Jeux olympiques ? Le gouvernement a certes donné son feu vert à ce projet de Groupe ADP, le gestionnaire des aéroports parisiens. Mais la Ville de Paris (et le maire du 13e arrondissement, Jérôme Coumet) ainsi qu’un collectif d’associations de lutte contre les nuisances aériennes viennent de saisir la justice pour obtenir l’annulation en urgence de l’autorisation accordée le 4 juillet par le ministère de la transition écologique. Selon les informations du Monde, deux recours en référé-suspension ont été déposés en ce sens le 15 et le 17 juillet devant le Conseil d’Etat.
Fabriqué par la société allemande Volocopter, le taxi volant est un petit hélicoptère électrique limité à deux places (dont celle du pilote) propulsé par dix-huit rotors disposés en couronne au-dessus du cockpit. Ses promoteurs entendent profiter des Jeux pour démontrer la faisabilité de l’aviation décarbonée en milieu urbain. Le projet est soutenu par la région Ile-de-France qui lui a octroyé une subvention de 1 million d’euros.
« Le développement de l’aviation basse altitude pour la mobilité aérienne urbaine est une aventure pleine de promesses, pour l’emploi, pour l’environnement et pour la vie des Franciliens, avait déclaré sa présidente, Valérie Pécresse, en novembre 2022, lors de l’inauguration d’une première plate-forme expérimentale à Pontoise (Oise). Comme le premier billet d’avion de la première compagnie aérienne a été pris en 1914 en Floride, je souhaite que le premier vol de passagers dans un avion à décollage et atterrissage verticaux ait lieu dans notre région, l’Ile-de-France. Les JO sont une opportunité et une vitrine incroyable pour lancer ce projet. »
« Un scandale démocratique »
Initialement, trois lignes étaient censées fonctionner pendant les JO : entre les aéroports de Roissy – Charles-de-Gaulle et du Bourget (Seine-Saint-Denis), entre l’héliport d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et l’aérodrome de Saint-Cyr-l’Ecole (près de Versailles, dans les Yvelines), entre l’héliport d’Issy-les-Moulineaux et le vertiport d’Austerlitz. Seule cette dernière ligne concerne Paris intra-muros. Pour éviter au maximum de survoler les immeubles, les taxis volants sont censés suivre la Seine et le périphérique. Dans un arrêté du 4 juillet, le gouvernement a autorisé ADP à exploiter la plate-forme d’Austerlitz à titre expérimental « jusqu’au 31 décembre 2024 au plus tard ». Le texte précise que les vols devront être opérés « entre 8 heures et 17 heures » sans excéder le rythme de « deux mouvements par heure », soit « un total de 900 vols » jusqu’à la fin de l’année.
« Le projet de taxis volants était une aberration écologique pour ultrariches, c’est aujourd’hui un scandale démocratique, le gouvernement démissionnaire a choisi de passer en force contre l’avis unanime du Conseil de Paris, de l’autorité environnementale et des Parisiennes et Parisiens consultés, réagit Dan Lert, adjoint à la Mairie de Paris chargé de la transition écologique. Ces hélicoptères, ce sont de nouvelles nuisances sonores, notamment pour les riverains du périphérique et un mode de déplacement trente fois plus énergivore qu’un déplacement en métro et quarante-cinq fois plus émetteur en gaz à effet de serre. »
Dans leurs recours, la Ville de Paris et les ONG visent les « insuffisances »de l’étude d’impact. Celles-ci avaient déjà été pointées du doigt par l’Autorité environnementale. En septembre 2023, elle avait rendu un avis défavorable, estimant l’étude « incomplète » tant sur le plan de l’évaluation des nuisances sonores que de la consommation d’énergie ou des émissions de gaz à effet de serre. « Faire survoler pendant six mois une zone densément peuplée est une source de nuisances sans équivalent dans l’histoire de l’environnement des aérodromes », estiment les associations (Union française contre les nuisances des aéronefs, Association de défense contre les nuisances aériennes…). En outre, l’étude d’impact se focalise sur les nuisances à proximité du vertiport mais fait largement l’impasse sur les trajets des taxis volants dans la capitale.
La consommation des engins est estimée à 190 kilowattheures (kWh) aux 100 kilomètres, soit « deux à trois fois plus qu’une voiture à moteur thermique », selon les calculs d’ADP et beaucoup plus que la consommation d’une voiture électrique, de l’ordre d’environ 15 kWh pour 100 kilomètres. Surtout, les taxis volants ne serviront à transporter qu’un seul passager en plus du pilote, pour un prix moyen de la course qui devrait avoisiner les 110 euros. Le commissaire chargé de l’enquête publique les a qualifiés de « transport élitiste ». Il a également rendu un avis défavorable le 8 février, estimant qu’ils ne participeront pas à une « décongestion du trafic » et n’offriront pas « d’alternatives aux modes actuels » de transport. De leur côté, les promoteurs insistent sur la possibilité de les utiliser ultérieurement – grâce à des versions plus grandes – pour des transports sanitaires d’urgence (malades ou greffons) actuellement effectués en hélicoptère.
Outre ces deux avis défavorables, la Ville de Paris et les associations appuient leurs recours sur plusieurs manquements potentiels. Elles estiment que le gouvernement aurait dû saisir l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires avant de donner son feu vert. Elles s’étonnent en outre que ces taxis volants puissent voler alors qu’ils n’ont toujours pas reçu leur certification de l’Agence européenne de sécurité aérienne. ADP pense avoir trouvé la parade en proposant des « vols de démonstration gratuits » pendant les Jeux. « Peu importe qu’ils soient gratuits et expérimentaux, ces vols devraient être organisés dans un espace sécurisé et adapté comme au Salon du Bourget mais en aucun cas au-dessus de Paris avec tous les risques d’accident que cela comporte », estime l’avocat des associations, Louis Cofflard.
Dans sa requête, la Mairie de Paris dénonce également un « risque majeur » en matière de sécurité publique et une atteinte au cadre patrimonial de la Seine et de ses berges, classées au Patrimoine mondial de l’Unesco (l’association de défense du patrimoine SOS Paris fait partie des requérants). La municipalité est surprise, enfin, que l’architecte des Bâtiments de France n’ait pas été consulté avant la construction du vertiport, une barge d’environ 750 mètres carrés amarrée en contrebas de la Cité de la mode et du design.
Contacté, le ministère de la transition écologique n’a pas répondu à nos sollicitations.