Source: Le Monde
Les avionneurs croulent sous les commandes et peinent à livrer
Airbus et Boeing, qui ont du mal à tenir leurs cadences de production, devraient faire profil bas lors du salon de Farnborough, au Royaume-Uni
Guy Dutheil
C’est un Salon international de l’aéronautique un peu particulier qui ouvre ses portes, du lundi 22 au vendredi 26 juillet à Farnborough, dans la grande banlieue de Londres, au Royaume-Uni. D’un côté, les carnets de commandes d’avions débordent ; de l’autre, les constructeurs peinent à maintenir les cadences de production, confrontés à une série d’écueils. Pour cette édition 2024, les deux grands avionneurs, Airbus et Boeing, devraient donc faire profil bas, se concentrant sur les commandes en cours et mettant en sourdine leur traditionnelle rivalité.
Près de 75 000 visiteurs professionnels et quelque 1 200 exposants se croiseront à l’aéroport du sud-ouest de Londres pour ce salon bisannuel, l’un des plus importants au monde, qui a lieu alors que le trafic aérien mondial devrait atteindre 4,96 milliards de passagers en 2024, selon l’Association internationale du transport aérien − soit plus qu’avant la pandémie de Covid-19.
Une perspective florissante, dont Boeing ne devrait pourtant guère se targuer. Et pour cause : le constructeur américain est sous le feu des critiques des régulateurs pour la mauvaise qualité et les défauts récurrents de ses productions. S’ajoutent à cela des incidents à répétition dont sont victime plusieurs de ses appareils.
« Le groupe se concentre sur le renforcement de la sécurité et de la qualité et sur le respect des engagements envers ses clients, tout en présentant la nouvelle génération de technologies et de capacités », a fait savoir Boeing, lundi 15 juillet. « Avec ces priorités à l’esprit, nous avons réduit notre stand de présentation d’avions commerciaux et les démonstrations en vol au salon », a également indiqué Brendan Nelson, le président de la stratégie du groupe.
L’avionneur de Seattle pourrait néanmoins présenter un tronçon grandeur nature de son nouveau gros-porteur long-courrier 777X. L’appareil, dont la version 777-9 vient tout juste d’obtenir une première certification des autorités fédérales américaines de l’aviation, est désormais le plus gros long-courrier commercialisé, après l’arrêt de l’A380 d’Airbus et du 747.
La relative discrétion affichée à Farnborough par l’américain sera également partagée par Airbus. Contrairement à ses habitudes, le numéro un mondial de l’aéronautique n’a pas dévoilé, à grand renfort de communication, ses prévisions à vingt ans, toujours orientées à la hausse. Il s’est contenté de les détailler dans un communiqué discret, publié lundi 15 juillet.
Les compagnies s’impatientent
Ainsi, il prévoit que les compagnies aériennes de la planète auront besoin de 42 430 nouveaux appareils commerciaux de plus de 100 places et cargo d’ici à 2043 − une hausse de 3,9 % par rapport aux projections pour 2042 publiées en 2023. La flotte mondiale pourrait donc doubler au cours des vingt prochaines années, avec 48 230 appareils au total en 2043, contre 24 260 fin 2023. Et les ventes devraient générer des revenus de plus de 8 000 milliards de dollars (environ 7 325 milliards d’euros).
L’Asie-Pacifique représentera une grosse part du marché, avec 19 510 appareils (dont 9 520 pour la Chine) sur les 42 430 appareils qui seraient livrés entre 2024 et 2043, selon Airbus.
L’Europe, quant à elle, en commanderait 8 050 et l’Amérique du Nord, 7 100. « La Chine et l’Inde, et plus généralement l’Asie-Pacifique dans son ensemble, nourriront la croissance, déplaçant davantage le centre de gravité du secteur aérien vers l’Asie », affirme l’avionneur.
Celui-ci va sans doute continuer à se tailler la part du lion. Les ventes de moyen-courriers devraient représenter 75 % des avions neufs, soit 33 510 exemplaires. Or, Airbus pèse 60 % de part de marché sur ce segment, alors que Boeing est dans la tourmente depuis les deux accidents de son 737 MAX en 2018 et en 2019, qui avaient causé au total la mort de 346 passagers et membres d’équipage.
L’avionneur de Toulouse devrait profiter du salon de Farnborough pour mettre en avant son dernier-né : l’A321 XLR. En « couteau suisse » du transport aérien, cet avion possède les capacités d’un long-courrier, mais avec les coûts d’un moyen-courrier. Il a déjà suscité l’engouement de vingt-cinq compagnies qui en ont déjà commandé plus de 500, souligne Airbus. « C’est l’un de nos meilleurs démarrages commerciaux », se félicite le groupe présidé par Guillaume Faury, qui a décroché, vendredi 19 juillet, la certification de ce nouveau blockbuster.
Seulement voilà : les ventes s’envolent peut-être, mais les livraisons patinent et les compagnies s’impatientent, car les avionneurs peinent à tenir la cadence de production. Si le carnet de commandes d’Airbus et de Boeing a grimpé de 18 % sur un an, à près de 15 000 appareils, les livraisons, elles, n’ont augmenté que de 11 % dans l’intervalle.
Les clients d’Airbus doivent attendre en moyenne sept ans (donc pas avant 2030) avant d’être livrés. Motif : les chaînes de sous-traitants, mises à mal pendant la crise sanitaire et affectées par des difficultés de recrutement, peinent à suivre le rythme. Preuve de ses tracas, Airbus a repoussé d’une année son objectif de 75 moyen-courriers sortis des chaînes d’assemblage chaque mois. Initialement prévue en 2026, cette cadence de production ne devrait pas être atteinte avant 2027.
Boeing souffre des mêmes maux que son concurrent européen. Il est empêtré depuis de longs mois dans des problèmes de production et de qualité sur ses trois avions commerciaux (737, 787 et 777), qui ont entraîné plusieurs enquêtes. Le groupe, qui attend de connaître, d’ici à la fin de 2024, le nom de son futur patron − en remplacement de Dave Calhoun −, n’envisagera pas de remontée en cadence avant que ces problèmes soient réglés. D’autant qu’il est également confronté à la menace d’une grève des ouvriers si les négociations salariales en cours n’aboutissent pas.
Mercredi 17 juillet, entre 20 000 et 25 000 salariés, principalement des machinistes, ont voté à 99,9 % le principe d’une grève en cas d’échec des tractations entre leur syndicat, IAM-District 751, et la direction. Ils réclament au moins 40 % d’augmentation répartie sur trois ans.
Au reste, le militaire et le spatial seront également des sujets-clés du salon de Farnborough. Les dépenses d’armement ont atteint le record de 2 443 milliards de dollars au niveau mondial en 2023, d’après l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, sous l’effet de l’invasion russe de l’Ukraine et de la montée en puissance de la Chine.