Source: Le Monde
Les inquiétudes persistent sur l’état de la flotte des Canadair
Le renouvellement des appareils de lutte contre les feux de forêt, vieillissants, ne pourra pas intervenir avant plusieurs années
Aline Leclerc
Eté 2022. Près de 72 000 hectares sont ravagés par des incendies en France, dans cinquante départements. Une situation inédite, qui révèle les limites de la flotte de la sécurité civile française, contrainte de solliciter les renforts de la force européenne RescEU.
Tirant les leçons de « cet été exceptionnel » qui ne « le sera peut-être pas tant » à l’avenir, en raison du changement climatique, Emmanuel Macron promet, en octobre 2022, le remplacement des douze Canadair français d’ici à 2027, et même l’achat de quatre de plus dans le cadre d’un plan global de « réarmement aérien d’urgence » contre les feux de forêt de 250 millions d’euros. « Il y a eu des avancées significatives depuis, mais ces déclarations étaient aventureuses », déplore aujourd’hui le sénateur (Les Républicains) de la Sarthe Jean-Pierre Vogel, auteur d’un rapport d’information du Sénat, en juillet 2023.
Car faute de commandes, les chaînes de fabrication du Canadair n’existent tout simplement plus. Il aura ainsi fallu près de deux ans pour qu’aboutissent les discussions entre la société de Havilland, l’Union européenne (UE) et six Etats membres, dont la France, pour une relance de la production. L’accord, annoncé le 22 juillet, prévoit l’acquisition par l’UE de douze Canadair, dont deux pour l’Hexagone. Leur livraison est annoncée pour 2028.
La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) précise qu’« une option a été posée pour l’acquisition de deux autres en 2025 ».
« Le temps de recréer la chaîne de fabrication, si on a deux appareils avant 2030, ce sera le maximum », estime M. Vogel. « Comment faire face d’ici là ? », s’inquiétaient de concert le syndicat national du personnel navigant de l’aéronautique civile (SNPNAC) et le collectif CGT des services d’incendie et de secours (SDIS), dans un communiqué publié le 25 juillet, soulignant la fragilité de la flotte au début de la « saison feux » (du 15 juin au 30 septembre).
Six Dash renouvelés
En plus des douze Canadair, la sécurité civile dispose de huit Dash, ces aéronefs qui larguent du produit retardant, et de trois Beechcraft, pour la coordination des opérations. Six des huit Dash ont été renouvelés depuis 2018 ; tandis que les Canadair ont 25 ans en moyenne, le plus récent ayant été livré en 2007.
Plus les avions sont vieux, plus ils nécessitent de maintenance. Or, le 29 mai, des salariés de Sabena Technics à Saint-Gilles (Gard), unique entreprise chargée du maintien des avions en condition opérationnelle (MCO, entièrement externalisé), se sont mis en grève. Contactés, ni Sabena Technics ni la déléguée UNSA n’ont souhaité répondre au Monde. Selon le média Objectif Gard, la baisse d’une prime de pénibilité durant cette saison exigeante serait en cause, dans un contexte de dégradation des conditions de travail motivant de nombreux départs. « Ils font face à une hémorragie de techniciens qualifiés, ce qui pèse sur ceux qui restent et fait que la maintenance prend plus de temps, », détaille Benoît Quennepoix, secrétaire général du SNPNAC sécurité civile.
Fin juillet 2022, dans un référé, la Cour des comptes relevait déjà « des tensions fréquentes » entre la DGSCGC et le prestataire du MCO « au sujet de la qualité du service ». « Résultat, début juin, on s’est retrouvé avec entre zéro et deux Canadair disponibles, même plus assez pour former les commandants de bord. En dix-neuf saisons, j’ai exercé mon droit de retrait pour la première fois », explique Benoît Quennepoix.
« La situation était catastrophique, renchérit Laurent Guilloteau, du collectif CGT des SDIS. Face à un été comme 2022, notre capacité d’action aurait été gravement impactée. » La stratégie étant d’attaquer les feux naissants, il faut des appareils disponibles immédiatement. La DGSCGC n’a pas répondu au Monde sur l’état de la flotte au jeudi 1er août. Mais confirme que cette question « fait l’objet de son attention quotidienne ».
Selon M. Guilloteau et M. Quennepoix, la situation s’est nettement améliorée, avec neuf Canadair sur douze, et six ou sept Dash disponibles. « Mais on reste inquiet : pourra-t-on maintenir nos avions en capacité opérationnelle en cas de gros feux ? », interroge Benoît Quennepoix.
La flotte d’hélicoptères connaît les mêmes difficultés, affirme Fabrice Chrétien du SNPNAC. « Elle a 20 ans, les appareils ont tous plus de 10 000 heures de vol, et il nous en manque six sur vingt-neuf pour la saison », résume-t-il. A la différence que la flotte est déjà en cours de renouvellement dans le cadre d’un plan quinquennal.
Location de moyens privés
Conscient de ces limites, après l’électrochoc de 2022, l’Etat renforce depuis sa flotte par la location de moyens privés. Soit, pour l’année 2024, 10 hélicoptères et 6 avions légers bombardiers d’eau, indique la DGSCCG, sans en préciser le coût.
« Cela reste une solution palliative, qui coûte cher, insiste Benoît Quennepoix, qui estime la dépense à au moins 20 millions d’euros. L’ensemble du marché de maintenance et d’utilisation des vingt-trois appareils de la sécurité civile, c’est 45 millions ! » « Leurs pilotes n’ont pas notre connaissance des secteurs, et certains ne parlent qu’anglais, ce qui peut compliquer la coordination, renchérit Fabrice Chrétien. Ce qu’on veut, ce sont des moyens durables, de service public. »
Dans sa note, la Cour des comptes chiffrait le renouvellement de la flotte d’avions et d’hélicoptères à un horizon de dix à quinze ans à 1,3 milliard d’euros.
Les 250 millions d’euros promis en 2022 ont-ils déjà été mobilisés ? La DGSCGC ne répond pas. Les pompiers, eux, relèvent que la sécurité civile a perdu 52 millions d’euros dans les coupes budgétaires décidées par décret en février. Ils espèrent désormais que le futur gouvernement ne remettra pas en cause le Beauvau de la sécurité civile. Les premiers ateliers se sont tenus le 13 juin.