Source: Le Monde
La NASA envoie une mission privée traquer l’eau sur la Lune
EspacePour la première fois, une mission scientifique privée va préparer l’exploitation des ressources sur la Lune. IM-2, qui a décollé dans la nuit du 26 au 27 février, extraira des échantillons du sol lunaire pour établir la quantité de gaz et de glace d’eau qui s’y trouve piégée
Hugo Ruher
Al’heure où le personnel de la NASA est menacé par la purge du département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), où le programme spatial habité Artemis pourrait être remis en cause pour préférer aller planter un drapeau sur Mars, comme l’a annoncé Donald Trump le 20 janvier, le jour de son investiture à la Maison Blanche, rien ne semble se passer comme prévu pour les programmes spatiaux aux Etats-Unis.
Et pourtant, c’est bien une mission américaine qui s’apprête à partir en direction de la Lune. IM-2, la deuxième expédition lunaire de l’entreprise Intuitive Machines, a prévu un décollage dans la nuit du 26 au 27 février à bord d’une fusée Falcon 9 de SpaceX. Direction le pôle Sud lunaire, là où les études ont montré que les ressources seraient nombreuses, ce qui semble propice pour accueillir les missions d’Artemis, voire pour construire une base lunaire d’ici quelques années.
« C’est une zone qui semble riche en ressources en raison des cratères toujours à l’ombre, détaille Pierre-Yves Meslin, chercheur en planétologie à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP). Cet environnement est idéal pour piéger dans la glace des éléments volatils comme l’hydrogène, qui pourrait donc s’y trouver en grande quantité. » En plus, ces cratères nombreux sont entourés de hauts plateaux dont l’ensoleillement permettrait d’y installer une base lunaire.
Mais avant de faire venir des explorateurs, il va falloir sonder le sous-sol. Pour ce faire, IM-2 dispose d’une foreuse nommée Trident qui va creuser à un mètre de profondeur, ainsi que d’un spectromètre de masse, MSolo, conçu pour analyser sur place la composition de l’échantillon. Et donc trouver cette fameuse glace d’eau, essentielle pour produire de l’oxygène ou des ergols, bref, du carburant.
Une armée de robots
« Nous en avions identifié en 2020 avec le télescope Sofia, précise Casey Honniball, chercheuse à la NASA, qui avait publié une étude sur le sujet. C’était l’équivalent de 12 grammes dans un mètre cube de sol. Mais pour être certains de nos résultats, une confirmation par un autre appareil sera d’une grande aide. » Deux missions chinoises sont allées depuis récolter des échantillons lunaires. Mais Chang’e 5 et 6 ne se sont pas posées près des pôles en quête d’eau.
Une telle expédition est moins simple qu’il n’y paraît. Pour IM-1, première mission d’une entreprise privée à atteindre la Lune, l’atterrissage en février 2024 ne s’était pas bien passé et plusieurs instruments, notamment des caméras et un radiotélescope, n’avaient pas fonctionné. Un mois plus tôt, une autre mission privée n’avait même pas pu quitter l’orbite terrestre. L’important programme de la NASA qui rassemble toutes ces initiatives privées démarrait mal.
Cette fois, IM-2 part avec davantage d’ambition. L’atterrisseur est sensiblement le même que pour IM-1, avec quelques améliorations censées éviter une même arrivée chaotique. Mais surtout, il emporte avec lui toute une armée de robots.
En plus de la foreuse et du spectromètre, comptez sur le petit MAPP, rover bardé de caméras, qui ira explorer les environs. Le minuscule Yaoki, sorte de croisement entre un aspirateur et un hoverboard (planche électrique à deux roues latérales), testera son système de déplacement.
Et surtout, l’impressionnant Micro Nova Hopper, un drone qui bondira à plus de 100 mètres d’altitude pour aller se poser au fond d’un cratère et en ressortir. Avec ses caméras, il pourra offrir de belles images en partant jusqu’à 25 kilomètres de distance de l’atterrisseur.
Casey Honniball, elle, espère que IM-2 aidera à lever quelques doutes : « Il y a énormément d’incertitudes à propos de la Lune. Nous sommes particulièrement intéressés par l’eau, mais nous ne savons pas en quelle quantité elle est présente, si elle est à la surface ou dans le sol, ni comment elle est distribuée à travers la Lune. »
« Exploitation commerciale »
Pourtant, IM-2 n’a pas toutes les chances de son côté. D’abord, le spectromètre de masse MSolo, aussi performant soit-il, est loin d’égaler ce qui peut se faire sur Terre. En plus, l’eau sous forme de glace est extrêmement fragile et risque de se sublimer (s’évaporer) lors du forage. L’opération est complexe et n’a jamais été tentée auparavant. Sans compter que le compromis fait pour choisir le lieu d’atterrissage n’est pas le plus favorable pour cette recherche. L’atterrisseur arrivera sur le massif de Mons Mouton, un des plus grands de la région. « C’est une zone éclairée par le Soleil, précise Pierre-Yves Meslin. Il n’y a donc pas le froid nécessaire du fond des cratères pour maintenir l’eau. »
Ce choix était pourtant nécessaire puisqu’il n’était pas concevable de placer l’atterrisseur là où le Soleil ne peut pas recharger les batteries, et où la communication avec la Terre est difficile, voire impossible. Les nombreux échecs à la surface de la Lune (Israël en 2019, le Japon en 2022, la Russie en 2023) poussaient à la prudence et à choisir un site plus facile d’accès. Dans ces conditions, il est possible que le forage ne révèle rien… Ce qui ne voudra pas dire pour autant qu’il n’y a pas de glace d’eau dans un cratère voisin.
Pierre-Yves Meslin reste sceptique sur l’intérêt scientifique de cette mission. « Cela nous révélera sans doute quelques informations à propos de la composition de la Lune, mais ce n’est pas le but premier. Nous sommes dans une perspective d’exploitation commerciale, et l’idée est d’utiliser ces ressources. Or nous pourrions en apprendre beaucoup plus sur l’origine de ces éléments, ou leur âge. S’ils sont utilisés, ils seront perdus. »