Source: Le Monde du 23/10/2021
Guy Dutheil
Le chiffre d’affaires du transport de marchandises par avion atteindrait un plus haut historique en 2021
Pour les acteurs du marché aérien, c’est l’une des rares satisfactions de la période de crise que traverse encore le secteur. Depuis le début de la pandémie, au printemps 2020, le fret aérien est spectaculairement reparti à la hausse. Un essor pointé par l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui explique que le transport de marchandises pourrait même battre des records cette année. D’après ses prévisions, le chiffre d’affaires du fret devrait culminer à 175 milliards de dollars (150 milliards d’euros) en 2021, tandis que les volumes de fret aérien devraient dépasser de 8 % le niveau moyen de 2019, la dernière année avant la crise. En 2022, l’IATA s’attend à une croissance de 5 % des volumes transportés.
« Depuis mars 2020, raconte Marc Rochet, président d’Air Caraïbes, les soutes des gros-porteurs, notamment les Airbus A350 et les Boeing 777, ont été bien remplies à des niveaux de prix sympathiques pour les compagnies aériennes. Nous avons fait du bon business. »Selon lui, il y a « deux raisons principales » à ces bonnes affaires. « Tout d’abord, comme il y avait moins d’avions de passagers qui volaient, il y avait par conséquent moins de soutes disponibles, donc celles qui étaient commercialisées étaient bien remplies », analyse le patron de la compagnie aérienne. Air Caraïbes, sa compagnie, « n’a fait voler en période de crise que quatre vols vers la Guadeloupe au lieu de dix en temps normal ».Pendant cette période, « le trafic passagers a chu de 40 % par rapport à 2019, tandis que celui du fret est resté stable et a même progressé ».
Le véritable − et structurel − essor du fret est intimement lié au « développement de l’e-commerce ». « Une explosion non plus en poids mais en volume », qui remplit les avions-cargos. Des milliers de petits paquets commandés par des consommateurs impatients de les recevoir au plus vite. Les compagnies aériennes se félicitent de la vogue du commerce sur Internet. « Il va continuer à se développer. Les bateaux sont saturés, donc le fret aérien poursuivra son développement », se réjouit M. Rochet.
Phénomène global
« Les retards du maritime profitent à l’aérien »,confirme Christophe Boucher, directeur général délégué chargé du cargo chez Air France. A tel point que le fret prend de plus en plus d’importance dans le chiffre d’affaires des compagnies. Chez Air France, il est passé de « 8 % avant la crise a près de 20 % aujourd’hui en moyenne », indique le dirigeant. Un phénomène global qui bénéficie à tous les transporteurs. Il en va ainsi de Singapore Airlines, qui a vu son activité fret bondir de 54 %. Alors que le fret pesait 15 % de son chiffre d’affaires avant le Covid, il en représente désormais 25 %.
Pour les compagnies aériennes, la bonne santé du fret est une divine surprise. Faute de passagers dans les avions vides, l’activité cargo leur a au moins permis de remplir leurs soutes et de couvrir leurs coûts variables, à défaut de leurs coûts fixes. Il faut dire que, face à la hausse continue de la demande de transport de marchandise par voie aérienne, les compagnies ont sensiblement augmenté leurs tarifs. Chez Air France, par exemple, « les niveaux tarifaires ont augmenté de plus de 70 % par rapport à la période pré-Covid », explique-t-on. Surtout que la concurrence, pour une fois, est plus réduite.
Les compagnies à bas coûts, axées sur le moyen-courrier, profitent très peu de ce marché. Pour l’essentiel, le trafic cargo s’effectue sur les destinations long-courriers entre l’Asie et l’Amérique du Nord pour la plus active, mais également entre Asie et Moyen-Orient ou Asie et Europe.
Air France n’a pas choisi de parier seulement sur l’envolée de l’e-commerce. « Ce n’est pas celui qui paie le mieux », souligne le directeur général chargé du cargo. Plutôt que les petits paquets des grandes plates-formes de ventes, la compagnie nationale s’est « spécialisée dans le transport de produits pharmaceutiques à températures contrôlées. Des produits à haute valeur ajoutée »,qui rapportent bien plus, reconnaît M. Boucher, sans toutefois, concurrence oblige, donner ses tarifs.
Pour remplir au mieux ses soutes, la compagnie a aussi fait le choix de transporter « les produits frais », tels que les melons des Antilles, les mangues de Côte d’Ivoire, le poisson de Dakar (Sénégal) ou encore des fleurs du Kenya. Un axe de développement qui semble en contradiction avec les engagements de la compagnie pour promouvoir le développement durable et la préservation de l’environnement. « Nous répondons à une demande, se défend la compagnie, nous ne sommes pas responsables du choix des produits transportés. »
Comme tous les acteurs du transport aérien, Airbus s’emploie à profiter du nouveau regain du fret. L’avionneur européen a décidé de lancer un nouvel avion-cargo, une version fret de son plus gros porteur, l’A350. « Nous pensons que nous avons un avion très prometteur », s’est félicité, le 29 juillet, Guillaume Faury, PDG d’Airbus Group. Avec son A350, l’avionneur veut rivaliser avec Boeing, qui s’arroge près de 80 % de part de marché de cette activité très rentable. Et qui promet de l’être plus encore dans le futur. Selon les prévisions à vingt ans de l’américain, la flotte d’avions-cargos devrait progresser de 70 % rien qu’en Europe.
Alors que les spécialistes de la logistique étoffent leur flotte d’avions-cargos, à l’image de Fedex ou DHL, d’autres acteurs s’y développent, notamment le numéro quatre mondial du fret maritime, CMA-CGM, qui a lancé sa propre compagnie aérienne. En revanche, les compagnies classiques restent frileuses. Plutôt que d’acquérir de nouveaux appareils dédiés, Air France, qui ne compte que deux avions-cargos dans sa flotte, poursuit le transport des marchandises avec ses avions de ligne. « L’essentiel de la capacité de transport se fait dans les soutes des appareils commerciaux, soit 75 % à 85 % du trafic fret pour Air France », précise M. Boucher.