Le photovoltaïque et les aérodromes

Source: Le Monde

Dans la Marne, un projet de centrale photovoltaïque contesté

Stéphane Mandard

Les opposants mettent en avant le passé du site, qui avait servi de piste à de grands noms de l’aviation lors de la première guerre mondiale

Dans son combat contre l’implantation d’une centrale photovoltaïque en pleine campagne rémoise, le collectif Les Terres de nos villages a déniché des alliés inattendus. Ils s’appellent Roland Garros, Joseph Kessel, Charles de Tricornot de Rose, Jean Navarre ou encore Georges-Félix Madon, dit « l’As aux 41 victoires ». Des noms associés aux heures glorieuses de l’aviation. Des pilotes qui se sont illustrés durant la première guerre mondiale. La piste d’où s’envolaient leurs coucous, située sur le plateau dit de la Ferme-du-Moulin-à-Vent, à Rosnay, petite commune de la Marne de 350 habitants, est aujourd’hui recouverte de cultures céréalières.

C’est là que Pierre Lhotte, propriétaire de la Ferme du moulin à vent, agriculteur et maire de Branscourt (260 habitants), souhaite faire pousser des panneaux solaires. C’est ce projet d’agrivoltaïsme, combinant agriculture et production d’électricité, porté par la société Akuo, spécialiste de l’« Agrinergie », qui est contesté par Les Terres de nos villages. Le collectif revendique plus de 400 sympathisants, soit environ 40 % des habitants des quatre communes potentiellement concernées par la future installation : Rosnay, mais aussi Germigny, Treslon et Courcelles-Sapicourt. 

« La mémoire de ce terrain d’aviation a été régulièrement entretenue, sous forme d’organisation de randonnées, en milieu scolaire ou lors des commémorations de 14-18, énumère Christiane Gilbert, du collectif. Si le projet voyait le jour, il viendrait effacer la mémoire de ce site qui est un témoin majeur de l’histoire de l’aviation militaire. » Pour bloquer le projet, le collectif vient de déposer une demande de protection au titre des monuments historiques et propose d’ériger un monument commémoratif en bordure de la piste historique.

« Gigantisme »

« Nous ne sommes pas contre les énergies renouvelables », assure Laurent Rogier, un membre du collectif qui dénonce le « gigantisme »du projet photovoltaïque, des « impacts environnementaux », la « dégradation » du cadre de vie et un projet agricole « non pérenne ». Laurent Rogier évoque également une opération de « greenwashing » où la production d’électricité prendra le dessus sur celle de la production agricole. « Ce n’est pas du tout notre philosophie, se défend Nicolas Repellin, responsable développement chez Akuo. En tant que producteur d’énergie, nous prenons des engagements pour que la contribution économique soit conditionnée à une activité agricole pérenne. »

De son côté, Pierre Lhotte ne fait pas mystère qu’il a accepté d’accueillir des panneaux solaires sur ses terres pour « trouver un complément de revenus capable d’assurer la pérennité de l’exploitation ». Le projet agrivoltaïque de Rosnay – une concession de cinquante ans – est l’un des plus importants portés actuellement par le groupe Akuo, qui en compte déjà une vingtaine en fonctionnement en France. Le permis de construire a été déposé cet été. La phase de consultation et d’enquête publique est prévue en 2022 pour un début des travaux en 2023 et une mise en service l’année suivante.

Pour calmer la fronde naissante, Akuo a revu un peu à la baisse ses ambitions. La capacité de production électrique annuelle a été ramenée de 48 à 43 mégawatts, de quoi alimenter tout de même près de 11 000 foyers, soit environ 8 % de la population de la communauté du Grand Reims. De 75 hectares, la surface totale est passée à 68 hectares. Mais les panneaux photovoltaïques, dont certains, pivotants, suivront la course du soleil, ne couvriront au maximum qu’un tiers de la superficie, selon la société. En outre, ils seront pour la plupart surélevés pour permettre des cultures dessous et espacés d’une dizaine de mètres, de quoi laisser passer un tracteur. Finalement, « on maintiendra 90 % de la surface agricole utile », assure M. Repellin.

Le volet agricole a lui aussi été amendé. L’idée initiale, un poulailler géant, a été abandonnée. Il s’agit désormais de combiner élevage bovin – la spécialité de M. Lhotte – et production d’herbage, à la place des céréales, pour nourrir ses bêtes.

A quelques kilomètres de là, un autre projet de centrale photovoltaïque n’a pas suscité autant d’émoi : l’installation de 33 000 panneaux solaires sur la piste de l’ancienne base militaire 112. Elle était la plus importante de France à la veille de la seconde guerre mondiale.