Safran et la fabrication additive

Source: Le Monde

Avec son nouveau campus, Safran lance l’avion du futur

Le motoriste français a inauguré, vendredi 7 octobre, son pôle d’excellence en fabrication additive, situé au Haillan, près de Bordeaux

Guy Dutheil

C’est au Haillan, dans la banlieue de Bordeaux, non loin du centre d’entraînement de l’équipe de football des Girondins de Bordeaux, que Safran vient véritablement de frapper les trois coups de l’avion du futur. Le motoriste français a inauguré, vendredi 7 octobre, le Safran Additive Manufacturing Campus (SAMC), un ensemble qui regroupe sur un même site de 12 000 mètres carrés tous les savoirs et les moyens industriels nécessaires à la production de pièces de moteur en fabrication additive. Cette technologie de pointe est une manière d’adaptation à l’industrie de l’impression 3D. Elle regroupe l’ensemble des procédés qui permettent de fabriquer des pièces par ajout de matière à partir d’un objet numérique. C’est la première usine de ce type en France et la seconde dans le monde.

Comme l’explique Safran, « la fabrication additive est un véritable atout pour le secteur aéronautique, car elle permet la réalisation de pièces auparavant impossibles à obtenir ». En pratique, de fines poudres de métal, du titane, du nickel ou de l’aluminium sont déposées sur un plateau, tandis qu’un faisceau laser vient fusionner le métal et donner sa forme à la pièce précédemment élaborée par ordinateur. Au SAMC, il faut enfiler une blouse et porter un masque FFP3, encore plus filtrant que le FFP2 utilisé contre le coronavirus, avant de pénétrer dans la zone de production, le « saint des saints ».

Pour Safran, cette usine est « un enjeu stratégique ». Le groupe a investi 80 millions d’euros au Haillan pour faire passer cette technologie au stade industriel.

Le motoriste et, plus généralement, le secteur aéronautique voient l’avènement de la fabrication additive comme le coup d’accélérateur à la mise en œuvre de l’avion du futur et à un transport aérien neutre en carbone à l’horizon 2050. Un objectif voté, vendredi 7 octobre, par les 193 pays membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale, réunis à Montréal. La fabrication additive va « décarboner l’industrie aéronautique », s’exclame François-Xavier Foubert, directeur général de SAMC. Principalement, car elle va permettre de produire « des pièces beaucoup plus légères ». Un « gain de masse de 20 % à 30 % » qui change la donne, se félicite le dirigeant. Quand en fonderie, pour sortir une pièce de 1 kg, il faut utiliser 10 kg de matière, avec la fabrication additive une pièce de 400 grammes ne demande que 600 grammes de matière première.

Plus légers, moins polluants

Avec cette nouvelle technologie, les avions seront plus légers et donc moins polluants. Les industriels pourront concevoir des moteurs moins puissants, moins gourmands en carburant, mais qui offriront des performances similaires. M. Foubert voit déjà l’introduction de la fabrication additive comme « le début de l’histoire pour l’avion du futur ». Safran est, il est vrai, un poids lourd du secteur. Comme l’a rappelé son directeur général, Olivier Andriès, les moteurs Safran équipent 70 % des avions moyen-courriers qui représentent, à eux seuls, 70 % de la flotte mondiale.

A moyen terme, la technologie additive devrait permettre de fabriquer jusqu’à « un quart des pièces du Leap », le nouveau moteur pour avions moyen-courriers produit par CFM International, la filiale à 50/50 du tandem franco-américain Safran-General Electric, explique M. Foubert. Outre un gain de poids, la nouvelle technologie réduit aussi les délais. Quand « il faut plusieurs années en fonderie » pour élaborer et produire une pièce, détaille le directeur général, il ne faut « que quelques semaines », avec le passage à l’additive, « pour avoir l’ébauche ». Un « bloc hydraulique », pourtant d’une complexité rare, peut désormais être produit « en deux jours ». Depuis la mise en route de l’usine, cet été, 1 000 pièces ont été livrées et Safran prévoit d’en livrer 4 000, cette année. Un démarrage en douceur avant d’accélérer. En 2026, ce sont plusieurs dizaines de milliers de pièces qui devraient sortir de l’usine.

Outre la fabrication additive, le motoriste a aussi installé au Haillan Safran Ceramics sa division de production de pièce de moteur en céramique. Là aussi, c’est le gain de poids qui est recherché, mais aussi la résistance à la chaleur. Avec ses deux technologies, Safran recherche une répartition des tâches. L’additive sera utilisée pour fabriquer des pièces pour les « parties froides » du moteur, tandis que la céramique sera principalement réservée aux « parties chaudes ».

« Enjeu de souveraineté »

Vendredi, au Haillan, M. Andriès était accompagné d’Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine, et du ministre délégué chargé de l’industrie, Roland Lescure. Le patron de Safran leur a expliqué que la nouvelle technologie est aussi « un enjeu de souveraineté ». Elle va « permettre de rapatrier en France des pièces de fonderie actuellement produites à l’étranger ».

Au-delà de cette création en Gironde, M. Andriès a réclamé la pérennité des investissements promis par l’Etat. Notamment les 1,2 milliard d’euros du plan France 2030, dont 800 millions sont consacrés à l’avion décarboné. Le directeur général refuse par avance « tout effet falaise » ou « un trou d’air dès 2023 » dans les investissements. Il ne veut pas être distancé par ses concurrents américains, qui « sont dopés aux subventions ». M. Lescure a expliqué avoir « entendu le message sur le Conseil pour la recherche sur l’aéronautique civile [Corac] ». Il a assuré que « l’industrie française ne sera pas la victime collatérale de la guerre en Ukraine ». En clair, la feuille de route du Corac, dotée de 1,5 milliard d’euros, ne devrait pas être amputée.