Source: Le Monde
Le C919 de Comac a déjà enregistré 815 commandes en Chine, mais les retards accumulés limitent ses perspectives à l’international
Simon Leplâtre
Le retard accumulé a un peu terni l’aura du C919, le premier avion moyen-courrier développé par la Chine, mais l’appareil devrait enfin accueillir des passagers en 2023. Le monocouloir de la Commercial Aircraft Corporation of China (Comac) a reçu sa certification le 29 septembre.
Fin juillet, les six appareils utilisés pour ces tests avaient effectué leur elephant walk, une présentation mise en scène pour célébrer la fin des vols d’essais. Mais, pour l’entreprise, cette première étape de la certification du C919, conçu pour transporter 158 passagers sur 4 075 kilomètres, vient trop tard pour être une réussite.
Ce délai de plus de cinq ans, entre le vol inaugural et la possible commercialisation de l’appareil, confirme des difficultés industrielles qui avaient fuité dans les médias ces dernières années. Entre-temps, Airbus a gagné d’importants contrats en Chine.
La date de la certification ne doit rien au hasard : il était essentiel pour ce projet stratégique de recueillir le blanc-seing de l’administration avant le 20e congrès du Parti communiste, qui commence dimanche 16 octobre, et devrait notamment confirmer le président Xi Jinping à la tête du pays pour un troisième mandat de cinq ans.
Au lendemain de l’événement, les dirigeants de Comac ont d’ailleurs reçu les encouragements du président chinois, lors d’une exposition sur le C919 présentée au Palais du peuple, à Pékin. Le développement de ce premier grand avion de ligne est « la volonté du pays, le rêve du pays et l’aspiration du peuple », a déclaré le dirigeant chinois, selon l’agence Chine nouvelle. Le président « a souligné le besoin d’améliorer le développement des avions commerciaux à grande échelle, d’avancer l’établissement d’une nation industrielle forte et de ne pas ménager ses efforts pour faire de la Chine un pays socialiste moderne à tous les égards, et de réaliser le rêve de la renaissance nationale », précise ainsi l’agence d’Etat.
« Gros problèmes à résoudre »
Lors du lancement du projet, en 2008, l’avionneur tablait sur une certification en 2014. Un objectif ambitieux dans un domaine de pointe où la Chine manque d’expérience. Après quelques années de conception, le vol inaugural du C919 a finalement eu lieu en grande pompe en 2017.
Mais le monocouloir n’était pas au bout de ses peines : dès 2018, les prototypes étaient maintenus au sol plusieurs mois, pour effectuer d’importantes modifications, notamment le renforcement du moteur et de la nacelle (qui accueille le moteur), d’après plusieurs médias. Des ajustements nécessaires à cause d’erreurs de calcul sur les forces qui s’exerceraient sur l’appareil, rapportait l’agence Reuters, en 2020.
« Il y a souvent des retards dans les projets aéronautiques, mais cinq ans pour être certifié, pour un avion de ce type, c’est énorme », commente Jean-François Dufour, spécialiste de l’industrie chinoise et cofondateur du centre de ressources Sinopole. « Lors de la présentation du prototype, en 2015, et lors du vol inaugural, en 2017, il y avait eu des cérémonies très importantes. Là, ça s’est fait en catimini, c’est symptomatique. La durée du processus montre qu’il y avait de gros problèmes à résoudre », remarque l’expert.
Résultat, l’appareil n’a pas pu profiter des déboires du Boeing 737 MAX, toujours cloué au sol en Chine, après deux accidents survenus en 2018 et 2019. Cet été, plusieurs compagnies chinoises ont finalement dû se tourner vers Airbus pour acquérir 292 appareils en juillet, puis 40 de plus en septembre. Tous sont de la famille A320neo, le concurrent du C919. Ces appareils seront livrés entre 2023 et 2027, signe que les compagnies ne comptent pas encore sur Comac pour renouveler leur flotte.
Pour autant, le C919, deuxième appareil à sortir des usines, après l’ARJ21, un jet régional, n’a pas de soucis à se faire, puisque son carnet de commandes est déjà plein : les compagnies chinoises, dont les achats sont décidés par l’Etat, ont déjà réservé 815 appareils, de quoi occuper les lignes d’assemblage pour au moins cinq ans. A moyen terme, le marché chinois, en passe de devenir le premier au monde dans les années à venir, ne sera donc plus la poule aux œufs d’or pour Boeing et Airbus.
A l’international, en revanche, le C919 n’est pas encore prêt à remettre en question la domination des Américains et des Européens sur le secteur. Après sa certification en Chine, le C919 doit obtenir celles des autorités européennes et américaines pour être présent sur ces marchés. Une procédure qui pourrait prendre du temps, notamment aux Etats-Unis : « Ce sont des processus à la fois techniques et politiques. En Chine, le 737 MAX n’a toujours pas été autorisé à reprendre les vols : les Américains ne vont pas l’oublier au moment d’accorder la certification au C919 », estime Jean-François Dufour.
Autre frein à l’expansion internationale, le manque de données opérationnelles de l’appareil (consommation de carburant, par exemple) et l’absence d’un réseau commercial. Dans ces conditions, le C919 ne devrait pas s’imposer sur le marché mondial avant des années, et une potentielle nouvelle version de l’appareil, à l’horizon 2030.
Le contrat du C919 n’est qu’à moitié rempli : il permet à Pékin de renforcer son indépendance technologique, un objectif affiché par le plan Made in China 2025, qui prévoyait, en 2015, que les avions chinois prendraient 10 % des parts du marché domestique en 2025. Cette échéance sera repoussée de quelques années.
Prochaine étape de cette conquête technologique, la construction d’un moteur chinois pour remplacer le moteur LEAP, construit par le français Safran en partenariat avec l’américain General Electric, qui équipe actuellement l’avion de Comac. Un projet sur lequel travaille déjà un consortium ad hoc, l’Aero Engine Corporation of China, qui rassemble 46 entreprises et instituts de recherche.