Source: Le Monde du 17/11/22
Avec Artemis, les Etats-Unis repartent conquérir la Lune
Le décollage, mercredi, de la fusée SLS est la première étape vers un retour d’astronautes sur le sol lunaire
Pierre Barthélémy
Les livres d’histoire spatiale retiendront que, le mercredi 16 novembre 2022, un demi-siècle après avoir clos l’aventure Apollo, les Etats-Unis sont repartis pour la Lune avec la première mission de leur programme Artemis. A 7 h 48, heure de Paris, flanquée de ses deux boosters à poudre, la massive fusée SLS (Space Launch System) s’est arrachée du pas de tir 39B du Centre spatial Kennedy à Cap Canaveral (Floride), emportant un vaisseau Orion… vide de passagers.
Cette mission Artemis-1 est en effet considérée comme un test de validation du lanceur – dont c’est le vol inaugural – mais aussi d’Orion, notamment pour la capacité de son bouclier thermique à résister au retour dans l’atmosphère terrestre à la vitesse faramineuse de 40 000 km/h. Pas question donc, pour d’évidentes raisons de sécurité, de placer des humains au sommet de la fusée à lors de cette répétition générale.
Celle-ci s’est d’ailleurs effectuée en plusieurs temps car, avant l’envol de mercredi, deux tentatives ont eu lieu, le 29 août puis le 3 septembre. A chaque fois le compte à rebours a été interrompu en raison de problèmes techniques, notamment des fuites lors du remplissage des réservoirs. La NASA a reprogrammé le décollage pour le 27 septembre mais a dû y renoncer car l’ouragan Ian menaçait la Floride. Par précaution, le SLS a été mis à l’abri dans son bâtiment d’assemblage. Une fois de retour sur le pas de tir, la fusée a encore dû affronter les vents de la tempête tropicale Nicole avant de pouvoir enfin partir.
Ce mercredi, une heure et demie après le décollage, Orion a quitté l’orbite terrestre et a été « injecté » sur sa trajectoire vers la Lune. Le 25 novembre, la capsule sera placée en orbite autour du satellite naturel de la Terre. Une orbite très excentrique et très large puisque Orion s’approchera à moins de 100 kilomètres de la surface lunaire puis s’en éloignera jusqu’à 64 000 kilomètres, ce qui le mènera plus loin dans l’espace qu’aucun autre vaisseau habitable n’est jamais allé.
Avec des humains en 2024
Après avoir tourné autour de la Lune, Orion commencera son voyage de retour et amerrira sous parachutes dans l’océan Pacifique, au large de la Californie, où il sera récupéré par la marine américaine. Ce sera le 11 décembre, au terme d’une odyssée de vingt-cinq jours, le plus long voyage qu’aura effectué, hors de l’orbite terrestre, une capsule spatiale conçue pour des humains. Tout le long de ce périple de plus de 2 millions de kilomètres, les équipes de la NASA testeront les systèmes du vaisseau.
Et ensuite ? Si tout s’est bien déroulé, après Artemis-1 viendra le tour d’Artemis-2, en 2024, une mission similaire mais cette fois avec un équipage de quatre astronautes, trois Américains et un Canadien. A priori Orion se contentera de contourner la Lune et de revenir sans se mettre en orbite autour d’elle, ce qui raccourcira le voyage. Le véritable retour sur notre satellite, celui où deux humains (sans doute un homme et une femme) marcheront de nouveau sur le sol sélénien que personne n’a foulé depuis 1972, est prévu pour 2025 avec Artemis-3. Cependant, tout laisse à penser que l’agenda lunaire de la NASA ne sera pas tenu.
Dans un audit publié il y a un an, le bureau de l’inspecteur général de la NASA, Paul Martin, n’est pas tendre avec le programme Artemis, son calendrier et son budget. Ce rapport conclut qu’Artemis-3 risque de subir un retard conséquent en raison du temps que prendra le développement de nouvelles combinaisons spatiales pour les astronautes et, surtout, de l’atterrisseur lunaire le Human Landing System (HLS).
En effet, contrairement aux missions Apollo au cours desquelles la fusée Saturn-5 emportait tout en même temps (le module de service et de commande ainsi que le module lunaire), le SLS ne fait décoller que le vaisseau Orion, qui est incapable de se poser sur la Lune. Le schéma d’Artemis-3 prévoit qu’en orbite lunaire, deux des quatre passagers d’Orion seront transférés dans le HLS qui les déposera sur notre satellite puis les en fera repartir.
« Calendrier pas réaliste »
La construction de cet atterrisseur a été confiée en 2021 à la société SpaceX, un contrat de 2,9 milliards de dollars. Le HLS est censé être une version lunaire du second étage du Starship construit par SpaceX. A ce jour, cet engin n’a jamais quitté l’atmosphère terrestre et n’a réussi qu’un seul atterrissage après un vol très court.
Même s’il reconnaît que la société d’Elon Musk a des protocoles de travail accélérés par rapport au reste de l’industrie spatiale, Paul Martin ne pense pas que le HLS puisse être prêt pour 2025. « Nous avons constaté que le calendrier de développement du HLS n’était pas réaliste par rapport aux autres grands programmes de vols spatiaux de la NASA, écrit-il dans son audit. Plus précisément, les programmes de vols spatiaux des quinze dernières années ont pris en moyenne environ huit ans et demi entre l’attribution du contrat et le premier vol opérationnel, alors que le programme HLS tente de le faire en environ la moitié de ce temps. »
Un des exemples cités est le Crew Dragon de SpaceX, la capsule qui transporte aujourd’hui les astronautes américains dans la Station spatiale internationale : entre le tout début du développement du vaisseau en 2010 et son premier vol avec équipage en 2020, une décennie s’est écoulée. Imaginer que le HLS puisse être mis au point et testé en un peu plus de quatre années n’apparaît pas raisonnable.
Enfin, il faut un budget important pour maintenir la cadence du programme lunaire de la NASA. Dans son audit de novembre 2021, M. Martin révèle que l’agence spatiale sous-estime de manière significative le coût d’Artemis qui, en 2025, aura au total coûté de 93 milliards de dollars aux contribuables américains. La facture de chacune des trois premières missions du programme s’élèvera à 4,1 milliards de dollars, dont 2,2 milliards pour le seul SLS, lanceur qui ne devait coûter à l’origine que 500 millions par décollage…
L’ennui, c’est que les budgets pour les développements technologiques nécessaires à cette aventure lunaire ne suivent pas au niveau du Congrès. M. Martin estime donc que, en étant très optimiste, le retour des Américains sur la Lune ne se fera pas avant 2026, « au plus tôt ».