Europe ESA: des choix et des crédits pour l’espace

Source: Le Monde du 24/11/22

L’Europe spatiale se dote d’un budget en hausse, mais inférieur à ses ambitions

L’agence européenne disposera de 16,9 milliards d’euros pour les trois prochaines années

Pierre Barthélémy

Et Dominique Gallois

Un succès inespéré », selon le ministre de l’économie, Bruno Le Maire ; « un excellent résultat », d’après Anna Christmann, coordinatrice du gouvernement fédéral allemand pour la politique aérospatiale. Mercredi 23 novembre, chacun y allait de sa formule enthousiaste à l’évocation des 16,9 milliards d’euros accordés à l’Agence spatiale européenne (ESA) pour les trois prochaines années (2023-2025). Une progression de 17 %, obtenue après deux jours d’âpres négociations entre les vingt-deux pays membres.

Même le directeur général de l’Agence, Josef Aschbacher, qui avait pourtant demandé une enveloppe de 18,5 milliards d’euros, s’est dit « impressionné par le chiffre obtenu » dans un contexte de crise, de forte inflation et de pression sur les finances. Pour lui, ce budget est « nécessaire » face aux Américains et aux Chinois. « Cela va permettre à l’Europe de répondre à tous ses engagements », qui vont des programmes d’exploration spatiale à l’observation de la Terre pour mesurer et surveiller le changement climatique, en passant par le financement des fusées Ariane-6 et de Vega-C.

Au chapitre des contributeurs, l’Allemagne confirme la première place qu’elle avait ravie à la France il y a trois ans, apportant cette fois 3,5 milliards d’euros, contre 3,2 milliards pour les Français et 3 milliards pour l’Italie. Une position vite relativisée par Paris, où il est rappelé que l’ESA n’est pas la seule activité spatiale du pays et qu’il existe d’autres engagements. La France va ainsi investir au total 9 milliards d’euros au cours des trois prochaines années, ce qui en fait « la première nation européenne pour le financement spatial », a insisté Bruno Le Maire.

Projet de constellation Iris

Mettant entre parenthèses leurs différends, les deux pays sont parvenus à un accord signé également par l’Italie réaffirmant le principe d’une préférence européenne pour les lancements dits « institutionnels », c’est-à-dire ceux menés au profit des agences spatiales nationales et européenne. Ce qui n’était pas forcément le cas jusqu’à présent, les Allemands choisissant parfois l’américain SpaceX et sa fusée Falcon-9 pour lancer leurs satellites d’observation.

Le prochain défi sera la participation de l’ESA au projet de constellation Iris, dont le coup d’envoi a été donné le 17 novembre par le commissaire européen Thierry Breton, pour une mise en service partielle espérée fin 2024. L’agence devrait apporter quelque 750 millions d’euros pour un budget global de 6 milliards d’euros

Du côté des programmes, le volet observation de la Terre ne bénéficie que d’une hausse légère (85 millions d’euros supplémentaires) de son budget de 2,7 milliards, mais cela devrait être suffisant pour permettre la poursuite du programme Copernicus de surveillance de l’état de notre planète.

Le feu vert a aussi été donné à deux nouvelles missions : Harmony, qui scrutera tous les mouvements à la surface de la Terre – y compris les échanges de chaleur et d’humidité entre l’océan et l’air – et Magic, qui mesurera le volume d’eau dans les océans, les calottes polaires et les glaciers, ce afin de comprendre la hausse du niveau des mers et de mieux gérer cette ressource de plus en plus précieuse qu’est l’eau douce.

Le programme dit « scientifique », qui se consacre surtout à l’astronomie, bénéficie d’une rallonge un peu plus substantielle (3,186 milliards d’euros contre 2,823 en 2019), mais c’est surtout le programme d’exploration humaine et robotique qui voit son budget bondir de plus de 700 millions d’euros, à 2,7 milliards.

Il fallait en effet sauver le soldat ExoMars, du nom de cette mission martienne effectuée avec la Russie et que la guerre en Ukraine a torpillée. Moscou devait fournir le lanceur ainsi que l’atterrisseur permettant au rover Rosalind-Franklin de se poser sur la Planète rouge. Plus rien de cela n’est à l’ordre du jour à la suite de l’arrêt de la collaboration avec la Russie. ExoMars aurait pu finir au musée des missions avortées, mais l’ESA a décidé de construire son propre atterrisseur et de faire aussi appel aux Etats-Unis, espérant ainsi lancer la mission en 2028.

Les ministres ont aussi décidé d’étendre la participation de l’ESA à la Station spatiale internationale jusqu’en 2030, date où ce grand ensemble orbital sera probablement abandonné. Entre-temps, les Européens se seront tournés vers une autre station, autour de la Lune celle-là, le Lunar Gateway, dont la construction, menée par la NASA, devrait débuter en 2024.

Le virage lunaire de l’ESA prendra plusieurs formes. L’ESA est déjà partie prenante du programme américain Artemis, puisqu’elle fournit le module de service de la capsule Orion. Elle va aussi contribuer au Lunar Gateway en fournissant deux de ses futurs modules. En échange de ces efforts, trois astronautes européens se rendront dans cette station lunaire et l’un aura le privilège de fouler le sol sélénien.