Source: Le Monde du 5/02/23
A quoi servent les ballons espions ?
Cédric Pietralunga
Engin de surveillance venu espionner des sites « sensibles », notamment de missiles nucléaires, comme l’affirme Washington ? Ou simple « aéronef civil, utilisé à des fins de recherches, principalement météorologiques », qui se serait égaré, comme se défend Pékin ? Depuis que les Etats-Unis ont révélé, jeudi 2 février, la présence d’un ballon stratosphérique d’origine chinoise au-dessus de l’Etat du Montana, les spéculations vont bon train sur la nature et les capacités exactes de l’engin, dont la taille équivaudrait à celle de trois autobus.
Selon les experts, envoyer un ballon espion dans l’espace aérien supérieur (Higher Airspace Operation, HAO, en anglais), c’est-à-dire à une altitude située entre 20 et 100 kilomètres, présente plusieurs avantages. « A la différence d’un satellite de surveillance en orbite basse, qui fait le tour de la Terre toutes les quatre-vingt-dix minutes, un engin envoyé dans la stratosphère peut rester longtemps au-dessus d’une même zone, ce qui permet de faire davantage d’observations optiques ou électromagnétiques », explique une source militaire.
Surtout, cette zone dite HAO n’est aujourd’hui régulée par aucun texte ou accord international, à la différence de l’espace aérien, situé en dessous de 20 kilomètres d’altitude, régi par la Convention de Chicago de 1949, ou de l’espace proprement dit, au-delà de 100 kilomètres, qui répond à des normes fixées en 1967 dans un traité sur l’extra-atmosphérique. Autrement dit, rien n’empêche la Chine a priori d’envoyer un engin au-dessus d’un autre pays s’il est situé dans cette zone. Un flou juridique qui, pour certains, expliquerait l’hésitation américaine à abattre l’intrus chinois.
« Envoyer un ballon stratosphérique au-dessus des Etats-Unis peut aussi être un moyen pour la Chine de tester la défense antiaérienne américaine : à quelle altitude est-il détecté ? Peut-il être détruit ? Comment ? Les réponses à ces questions intéressent sans aucun doute Pékin », estime de son côté Joseph Henrotin, chercheur au Centre d’analyse et de prévision des risques internationaux. A cet égard, la présence de panneaux solaires sur le ballon chinois, attestée par des photos, tendrait à prouver qu’il peut être dirigé à distance.
Pointée du doigt, la Chine n’est d’ailleurs pas la seule à s’intéresser à la haute atmosphère. En 2022, la Commission européenne a par exemple lancé un programme, appelé EuroHAPs (Démonstration de systèmes de plate-forme à haute altitude) et doté de 1,2 milliard d’euros, pour développer des projets de ballons ou dirigeables stratosphériques à des fins de renseignement militaire. Le franco-italien Thales Alenia Space travaille notamment sur une plate-forme appelée Stratobus, capable de mener des opérations de surveillance depuis une altitude de 20 kilomètres.
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Un document de l’OACI sur le HAO: http://icscc.org.cn/upload/file/20221215/20221215084434_34715.pdf