L’ONU et le conflit en Ukraine

L’espace mondial fragmenté par le conflit en Ukraine

Au fil des votes onusiens, la guerre en Ukraine a révélé le fossé qui se creuse entre l’Ouest et les pays du « Sud global »

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Source: Le Monde du 20/02/2023

C’est devenu un enjeu diplomatique de premier ordre au fil des douze mois de la guerre menée par la Russie en Ukraine : les Occidentaux peinent à rallier le soutien de pays dits « du Sud global » qui refusent de choisir leur camp, considérant que ce conflit est avant tout européen.

Le phénomène trouve une expression à chaque nouvelle résolution votée par l’Assemblée générale de l’ONU, seul moyen à disposition des alliés de Kiev pour contourner le veto russe au sein du Conseil de sécurité. Le 2˽mars˽2022, moins de dix jours après le déclenchement des hostilités, seuls quatre pays s’opposent à la résolution aux côtés de Moscou : Syrie, Biélorussie, Corée du Nord et Erythrée. Mais trente-cinq autres s’abstiennent de condamner la Russie, dont la Chine, l’Inde et l’Iran, ainsi que nombre d’Etats africains, dont le Mali, l’Algérie et l’Afrique du Sud. Douze pays ne participent pas au vote, à l’instar du Venezuela, du Maroc et de l’Ethiopie. Parmi les Etats qui condamnent alors la Russie, certains, comme la Turquie, l’Arabie saoudite ou le Brésil, refusent depuis de la sanctionner.

Au fil des votes onusiens, la guerre en Ukraine révèle le fossé qui s’est creusé entre « l’Ouest et le reste du monde ». « Cela nous pendait au nez depuis longtemps, les pays du Sud n’ont pas attendu la guerre pour considérer que l’ordre international faisait la part trop belle aux intérêts occidentaux », constate un diplomate qui voit là la fin de la période ouverte avec la chute du mur de Berlin, en˽1989, puis le démantèlement de l’Union soviétique, en˽1991, au cours de laquelle les Etats-Unis et leurs partenaires européens dominaient les affaires du monde.

Cette fragmentation de la scène internationale oblige Européens et Américains à se mobiliser, au sein des enceintes onusiennes comme en dehors, afin de contrer la propagande de la diplomatie russe, très active elle aussi pour chercher des appuis. Il s’agit de riposter au récit adopté par Moscou pour rendre les sanctions occidentales – plutôt que la décision du Kremlin d’envahir l’Ukraine – responsables de l’envolée des prix de l’énergie et des produits agricoles, suscitée dans un premier temps par le conflit. Mais rien n’y fait.

Pour Michel Duclos, ancien diplomate, conseiller à l’Institut Montaigne et directeur de l’ouvrage Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde (Ed. de l’Observatoire, 336˽pages, 24˽euros), la séquence constitue « un moment d’affirmation pour les puissances moyennes désinhibées » telles que la Turquie, l’Inde, le Brésil, voire l’Iran. Ces dernières, qui contestent l’ordre international sans pouvoir proposer d’alternative, ne cachent plus leur ressentiment à l’égard de l’Occident, accusé, entre autres, de pratiquer le « deux poids deux mesures », en soutenant l’Ukraine, mais en ignorant d’autres conflits, sur fond de « retour du refoulé de l’époque coloniale ».

La prise de conscience est d’autant plus douloureuse que, derrière la guerre en Ukraine, se cache la rivalité sino-américaine. « Quand des pays refusent de prendre parti entre la Russie et l’Ukraine et l’Europe, ils ne veulent en réalité pas prendre parti entre la Chine et les Etats-Unis, analyse M. Duclos. Pour beaucoup de pays du Sud global, ménager la Russie, c’est ménager la Chine. » Nombre d’entre eux mettent ainsi en avant leur balance commerciale, souvent plus dépendante de la Chine que des Etats-Unis, pour justifier leur prudente neutralité.