Ukraine: les munitions rodeuses

La levée progressive des verrous éthiques sur les munitions rôdeuses

Après des années de blocage, les pays occidentaux, dont la France, abandonnent leurs réticences et s’équipent de drones-kamikazes

Élise Vincent. Le Monde

La très forte augmentation du nombre de drones-kamikazes sur le champ de bataille ukrainien constitue, à de nombreux égards, une rupture stratégique importante provoquée par le déroulement de la guerre. C’est ce que démontre l’acquisition en forte augmentation d’un tel matériel par un nombre croissant de pays, auprès d’industriels qui ne craignent plus, de leur côté, d’investir sur fonds propres, afin de développer ce type d’armement, qualifié de « munitions téléopérées » (MTO).

Au début du conflit ukrainien, c’était encore loin d’être une évidence. Mais, un mois après, fin mars 2022, à la suite de la demande insistante des Ukrainiens, les Etats-Unis ont décidé de contourner certaines dispositions de leur propre législation et d’exporter les premières MTO occidentales en Ukraine : des drones baptisés « Switchblade », à cette période au nombre d’une centaine. Jusqu’ici, ces modèles de petits avions guidés par GPS et caméra n’avaient presque pas été testés lors d’opérations extérieures.

Dans le contexte de la longue course à l’armement qui débute alors en Ukraine, les Switchblade apparaissent très vite, aux yeux du Pentagone, beaucoup plus économiques (environ 6 000 dollars, soit 5 500 euros pièce pour le modèle le moins cher) que d’autres types d’armement comparables, par exemple des missiles antichars de type Javelin, dont le coût dépasse 150 000 dollars. 

Plus de mille drones Switchblade ont ainsi été fabriqués pour Kiev depuis le début de la guerre, a dévoilé mi-mai AeroVironment, le fabricant américain. Un autre type de drone-kamikaze a été envoyé ultérieurement en Ukraine par les Etats-Unis – le Phoenix Ghost –, mais le nombre d’appareils livrés n’a pas été communiqué.

En parallèle, le conflit a bousculé les réserves que pouvaient avoir beaucoup de pays occidentaux quant à l’utilisation de drones-kamikazes. Le premier pays européen à avoir assumé l’acquisition de munitions téléopérées est la Lituanie, avec l’achat de Switchblade, en décembre 2022. En février, l’Estonie lui a emboîté le pas, avec un contrat annoncé de plus de 100 millions d’euros, passé auprès d’une société israélienne, ce afin d’équiper ses forces d’ici à 2025.

L’Italie et la France ont, quant à elles, franchi le pas ces derniers mois. L’Italie avec un contrat de 4 millions d’euros auprès d’un consortium réunissant l’israélien UVision et le groupe allemand Rheinmetall, la France en faisant le choix du Switchblade d’AeroVironment. Une option rendue possible par la décision de l’administration américaine de lever une nouvelle fois les restrictions à l’exportation pour ses munitions rôdeuses, et d’ouvrir ce marché, au-delà de l’Ukraine, à une vingtaine de ses alliés et partenaires.

« Combien et quand ? »

Côté français, l’acquisition de Swichblade a été présentée comme une solution « temporaire ». Deux projets de munitions téléopérées, baptisés « Colibri » et « Larinae », fabriqués par des sociétés françaises, ont été lancés en urgence, en mai 2022, peu après le début de la guerre en Ukraine, après des années de blocage sur la base de raisons éthiques. « Maintenant, la question n’est plus de savoir si on va avoir des MTO, mais combien et quand ? », résumait, il y a quelques semaines, un officier de l’armée de terre.

La part d’autonomie de ces drones, qui peuvent poursuivre une cible mouvante sur plusieurs kilomètres, est depuis toujours l’un des grands freins des Occidentaux. La ligne doctrinale française stipule que le militaire puisse contrôler « de bout en bout » la munition, c’est-à-dire pouvoir la dérouter si, par exemple, la cible se révèle ne pas être celle prévue initialement. Une façon de limiter les victimes collatérales. Mais certains experts doutent de cette capacité sur un théâtre de guerre très exposé, alors que beaucoup d’armées n’ont pas encore de doctrine éprouvée sur l’usage des MTO.

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